Accompagner les innovations pour une problématique de la vigilance
Problématiser en sciences de l’éducation, ce peut-être, par rapport à une demande sociale, construire un questionnement qui met à jour un problème parce qu’il y a des enjeux pour le système éducatif et ses acteurs, des difficultés à le penser, et une urgence à le résoudre concrètement. Les mots sont des symptômes d’un réel problématique autant que des outils pour le comprendre et le…
modifier : hétérogénéité, différenciation, intégration, violence, projet sont par exemple de cette nature. Innovation et accompagnement aussi.
Qu’une instance de l’Education Nationale organise un colloque sur ? Accompagner les innovations ?, ciblé majoritairement sur des ? conseillers en innovation ?, a du sens. La demande du public ira au plus court : ? Comment accompagner les innovations ? ?. Mais toute demande technique en formation doit être ramenée à ce qui fait sens : les finalités d’une pratique. ? Pourquoi considère-t-on comme souhaitable, voire nécessaire (il y a des personnels payés pour cette activité), d’accompagner les innovations dans le système éducatif ? ».
Lecomment, parce que c’est leur tâche, percute directement les institutions auxquelles elle a été déléguée : bureau DESCO A.011 de la ? Valorisation des innovations pédagogiques ?, Délégations Académiques à l’Innovation, plus récemment Conseil National des Innovations ?(CNIRS), plus anciennement INRP ? Cette interrogation pratique présuppose comme évidence, découlant d’uneorientation politique, l’intérêt de l’innovation et de son accompagnement pour le système éducatif. Toute évidence, surtout lorsqu’elle découle moins d’un rapport à la vérité que d’une décision pour l’action, doit être épistémologiquement interrogée. La question devient alors, plus dérangeante pour les consensus institutionnels : ? L’accompagnement des innovations peut-ellecontribuer à répondre aux problèmes auxquels est actuellement confronté le système éducatif ? ?. Si la réponse est positive, on peut se demander en quoi ? Et si par aventure elle était négative, il faudrait s’interroger pourquoi ?
L’INNOVATION : POINT OU NOEUD D’ARTICULATION ENTRE INSTITUTION ET TERRAIN ?
Si l’on analyse les textesofficiels sur l’accompagnement des innovations (par exemple la circulaire du 26/10/01), et la logique du dispositif, on peut faire deux lectures contrastées.
1 Une lecture positive pour les tenants de la pédagogie ?
Valoriser l’innovation, la faciliter, la diffuser semble une preuve de confiance de l’institution envers les acteurs pour faire évoluer le système. On met en valeur les initiatives, la capacité à inventer, lacréativité. On encourage l’autonomie, on accrédite l’image d’un professionnel avec une large marge de manoeuvre et de liberté dans son travail, capable d’anticiper les évolutions, et de construire lui-même des réponses aux problèmes émergents. A l’ agen t produit par le système et reproducteur de sa logique (Bourdieu) ferait place un acteur , voire comme dit Ardoino un auteur créateur de sapropre pratique, ? s’autorisant à ? sans forcément ? être autorisé par ?, encore moins « être obligé de ». Ce champ du possible, ouvert par l’institution elle-même, permettrait à la base le déploiement d’un espace pour construire l’école de demain.
Cet effacement d’une verticalité institutionnelle perçue comme oppressive par son poids hiérarchique,pourrait faire tourner la tête à un militant pédagogique post soixante-huitard ! ?L’innovation traditionnelle ? n’était-elle pas en rupture avec la logique du système éducatif, par indignation contre son fonctionnement sélectif de tri entre les classes sociales, sa nature d’ ? appareil idéologique d’Etat ? (Althusser) au service de la bourgeoisie, son asservissement des milieuxdéfavorisés et sa préparation au pouvoir des ? héritiers ? (Bourdieu) ? L’innovateur n’était-il pas celui qui voulait armer la classe ouvrière, qui bravait le conformisme du cours magistral, qui plaidait la marge contre la norme institutionnelle, dénonçait le lycée caserne ou prison de Foucault, la séparation des sexes, conscientisait la jeunesse ? Et de citer toute l’histoire de l’Education Nouvelle auXX ème siècle, l’exemple de Freinet contraint de sortir de l’Education Nationale pour créer sa propre école, les rapports sévères des inspecteurs contre les militants pédagogiques, le chapelet de leurs ennuis institutionnels ?
L’institution aurait évolué par le changement de mode de recrutement de ses cadres (le chef d’établissement comme ? animateur pédagogique ?, l’inspecteursensibilisé aux sciences de l’éducation et formé aux méthodes pédagogiques), par l’accent mis sur la professionnalisation, par le contenu de ses formations initiales et continues : elle se serait ? pédagogisée ?. Elle reprendrait dans ses circulaires, ses programmes, sous l’effet de certains praticiens, des didacticiens de disciplines, des sciences de l’éducation, de l’évolution sociétale des formesd’autorité, des m?urs, bien des propositions et des pratiques longtemps proposées par des innovateurs et combattues longtemps par l’institution. L’interdisciplinarité, le travail des élèves en groupe, l’équipe pédagogique et éducative, l’autonomie des établissements, les théories de l’apprentissage, la centration sur l’élève, les méthodes actives seraient à l’ordre du jour. On donnerait en exemplela pédagogie institutionnelle, qui sentait il y a quelques années le souffre ! L’innovation ne serait plus réprimée mais autorisée. Et pas seulement tolérée, mais encouragée ! Une révolution douce en quelques décennies, qui obligerait d’ailleurs les mouvements pédagogiques à redéfinir dans ce contexte leur utilité, à travailler leur écart par rapport àl’institution, leur ? devoir d’impertinence ?, au-delà des coopérations désormais possibles et peut être souhaitables ?
2 Une lecture plus critique pour la sociologie des organisations ?
Changeons de grille de lecture. C’est l’Institution qui décrète un ? droit à l’innovation ?. Or celle-ci est par excellence le champ de la créativité personnelle ou collective. Mais que sepasse-t-il quand elle est réglementée, quand son soutien est ? accordé par le cadre réglementaire ?. Il y a un ? appel national à initiatives ?, relayé par des appels académiques. Mais le soutien à celle-ci suppose l’ ? adhésion aux valeurs de l’institution ?, elles doivent être ? en cohérence avec les grands objectifs institutionnels ?. Pour être reconnuecomme telle, une innovation doit être repérée par une procédure sur dossier, se déclarer pour se faire reconnaître, et être retenue en fonction de certains critères : se faire dans le cadre d’une équipe (et un individu ?), du projet d’établissement (et quelqu’un ou une équipe qui ne s’y rattacheraient pas ?), de prioritésacadémiques , d’orientations nationales , celles-ci spécifiant six domaines précis ! On ajoute que l’innovation se mérite, donnant certains moyens humains et financiers dès lors qu’elle est agréée (argent, HSE, accompagnement) ; elle donne des obligations , car le soutien est contractualisé dans une convention proposée parl’Institution : il faut notamment analyser et évaluer son projet, écrire sur cette pratique, participer à des réunions et rencontres. On voit que le cadrage est fort : identification, contractualisation, évaluation. On comprend qu’une institution publique, vivant de fonds d’Etat, sélectionne des actions qu’elle encourage financièrement, et qu’elle le fasse en fonction decritères propres, qui renvoient en dernière analyse à une politique.
Mais s’agissant d’innovations éducatives d’acteurs de terrain, ceux-ci se confrontent désormais à un cadre, des procédures, qui n’ont plus rien à voir avec des innovations spontanées voire contestataires. L’innovation est aujourd’hui une ? carotte ? : elle donne des moyens , donc facilite la pratique, et duprestige . Car être reconnu, c’est une image de marque valorisante. Il faut d’ailleurs faire une démarche pour l’être, ce qui autorise bien des projets papiers ou des pratiques sans originalité à tenter de faire valoir. Aubaine pour des chefs d’établissement ou des personnels en recherche de reconnaissance narcissique ou carriériste, quand tant de gens dans l’Education Nationale se sentent méprisés !
En faisant de l’innovation un droit, sans aller jusqu’au devoir (!), et en la valorisant par un dispositif, l’Education Nationale fait de l’innovation un ? pédagogiquement correct ?. D’où cette injonction paradoxale ? Innovez ! Soyez créatifs ! ? Avec par ce « double bind » des ambiguïtés, des limites, et bien des dérives ?
3 Intérêt et limites d’unmode de pilotage.
La leçon semble avoir été entendue par certains responsables du système éducatif, après bien des réformes imposées et avortées : on ne change pas bureaucratiquement par le haut un système où l’efficacité dépend de l’adhésion et de l’initiative des acteurs, et où il s’agit moins de produire des marchandises que de faire émerger des libertés et dela citoyenneté ? Il faut donc non décréter l’évolution, mais tenter d’articuler une logique descendante avec des initiatives ascendantes. C’est un défi et un pari que de penser cette articulation et de la rendre opérationnelle, connaissant la taille du système éducatif français, ses traditions centralisatrices, et la force d’inertie, voire de résistance – à bon ou à mauvais droit – de nombre de ses acteurs etde leurs organisations corporatives et syndicales.
La question est de savoir si cette articulation peut être dialectisée ou court droit à l’aporie. Si la contradiction apparente des logiques d’en haut et d’en bas peut être surmontée, le système bouge de lui-même, et pas seulement sous la pression de contraintes exogènes. On entre dans une culture du changement, de l’adaptation positive, de l’innovation comme modalitéd’évolution. Si le ? droit à l’innovation ? passe pour la pilule qui fait passer les dernières réformes, l’incitation au changement est perçue comme hiérarchique et injonctive, la résistance se met en branle et le système se grippe.
Or on appelle aujourd’hui les réformes des ? innovations institutionnelles ?. Ce qui brouille le concept d’innovation venant de praticiens du terrain.L’innovation est devenue un mode de pilotage du système éducatif , une modalité plus intelligente et plus souple que la prescription qui descend la cascade hiérarchique avec de plus en plus de pression. Elle fait le pari qu’une ? innovation ? d’en haut peut être mise en oeuvre par des innovations d’en bas ; que si l’on donne à la tête des objectifs, c’est au terrain de trouver les moyens les plus pertinents, ceuxqui collent au contexte.
L’intérêt de cette conduite, c’est de faire confiance aux acteurs pour opérationnaliser, de leur donner une marge d’initiative dans un cadre donné, de penser qu’ils sont les mieux placés pour adapter, contextualiser des orientations, jusqu’à proposer des pistes auxquelles nul n’aurait pensé.
Les limites, c’est qu’il y aura toujours des gens pour dénoncer le piège, le marché dedupes : on te reconnaît, on te flatte si tu as envie d’aller toi-même vers là où l’Institution veut que tu ailles. L’Institution utilise la ruse pédagogique de Rousseau : montrer à l’acteur qu’il fait bien de vouloir aller là où l’on veut qu’il se dirige ; encourager ceux qui tente d’appliquer avec créativité les réformes entreprises, par exemple dénicher et faire connaître le parcoursdiversifié, l’itinéraire de découverte, le TPE ou le débat d’ECJS le plus génial ? L’innovation perdrait ainsi toute dimension subversive, lorsqu’elle n’est plus qu’un moyen, une stratégie au service de l’Institution. Elle serait toute entière du côté de l’adaptation, et jamais de la résistance ou de l’irruption .
Et de fait, quelles sont les innovations rejetées par l’Institution, politiquementincorrectes ? Quel conseiller en formation serait prêt à reconnaître une innovation purement individuelle, et non collective ? déconnectée du projet d’établissement ? hors priorités académiques ou nationales ? Une équipe innovante en conflit avec son chef d’établissement, son IEN ou son IA ? Ce serait aller au devant de difficultés. Et pourtant, il pourrait s’agir parfois d’innovationspédagogiquement et socialement porteuses. Il peut donc y avoir un conformisme de l’innovation, celui du champ des innovations ? institutionnellement correctes ?.
Tant mieux si l’Institution lutte pour la réussite de tous, est au service de la République par l’instruction et la socialisation. Mais s’il s’avérait qu’elle laissait pour compte une partie des élèves, les plus dévaforiséséconomico-socio-culturellement ? Si, comme dit Meirieu, le critère de l’innovation intéressante n’est pas qu’elle est nouvelle (car le neuf n’est pas par essence émancipateur), ou encouragée par l’institution, mais qu’elle lutte contre l’exclusion , voilà l’innovation dont nous avons besoin dans une véritable démocratie !
Un conseiller en formation peut ainsi se trouver confronté à deuxloyautés : celle de l’institution qui le paye pour repérer, analyser, valoriser, diffuser des innovations conformes à ce qu’en attend l’institution ? pour une bonne part, accompagner intelligemment les réformes ; et celle d’un idéal démocratique et pédagogique : travailler à l’émancipation des élèves par la culture et la socialisation démocratique, et en premier lieu, de ceux qui en sontprivés par leur milieu, et souvent exclus par l’école. A chacun d’analyser s’il y a là un conflit de légitimité , ou une possibilité d’ articulation complémentaire. Mais une action institutionnelle sans finalité émancipatrice conduirait la pratique à une réduction techniciste au comment, et à une dimension politique non interrogée. Si l’on trouve beaucoup de militants pédagogiquesdans le réseau des innovations, qu’ils soient innovateurs de terrain, accompagnants ou cadres du système éducatif, c’est que quelque part une articulation est possible entre un travail dans et par l’institution, et un objectif d’émancipation, en particulier des plus démunis. C’est cette capacité à la réussir dans une pratique éducative qui doit être collectivement travaillée dans ce colloque.
L’ACCOMPAGNEMENT
L’accompagnement d’une innovation ne prend donc son sens d’abord que de la nature et des objectifs de l’innovation concernée.
Mais elle pourrait prendre sens aussi de cette innovation en formation qu’est la modalité de l’ accompagnement . Celui-ci n’est pas un concept nouveau dans le champ social (ex : ? l’accompagnement aux mourants ?). Mais il émerge aujourd’hui en formation , dénommant une pratique assez différente de celle d’un formateur en stage.
Il ne s’agit pas d’amener des formés là où on l’on veut qu’ils aillent, mais de faciliter le chemin qu’ils tracent eux-mêmes . De n’accompagner que des individus volontaires (d’où la notion de contrat), car on les considère comme des acteurs de leur propre pratique. De les suivre dans letemps , car l’innovation s’inscrit dans l’historicité d’une expérience (d’où la négociation de la périodicité, du rythme et du contenu des rencontres). L’accompagnement est une forme d’ aide , et l’aide en formation s’adresse à des personnes , dans leur dimension professionnelle .
Le contrat institutionnel de soutien à l’innovation, en contrepartie de l’attributionde moyens, implique pour l’équipe d’un établissement de développer un projet, d’analyser sa pratique, de l’écrire et de la diffuser. Cette contractualisation balise le champ de l’accompagnement.
Ce champ, c’est d’abord celui de l’aide à la conception, à la mise en oeuvre, au développement et à l’évaluation d’un projet . Cela implique de l’accompagnateur, selon que l’équipe est en démarrage ouopérationnelle, qu’il aide à formuler ou repréciser les objectifs, les modalités, les échéances. Il ne se substitue pas au groupe, il ne fait pas prévaloir ses idées, il n’assume pas le leadership, il respecte le ou les leaders du groupe. Il est simplement clair sur la méthodologie et les processus d’un projet, la conduite de réunion, la dynamique des groupes.
Ce champ est aussi celui de l’ analyse despratiques . Il ne s’agit pas pour l’accompagnateur d’analyser de l’extérieur la pratique d’une équipe et de lui renvoyer cette analyse, mais d’aider le groupe et les individus qui le composent à analyser, par eux-mêmes, leur propre pratique, de créer un espace de parole et d’intelligibilité où se croisent et se mutualisent les regards des acteurs, les difficultés externes et internes qu’ils rencontrent dans leur projet, avecl’extériorité d’un accompagnant comme garant qu’un processus d’analyse peut émerger par la médiation de son attitude respectueuse, et du ou des dispositifs rigoureux qu’il propose. La maîtrise de situations d’analyse comme le GEASE , le GAP , l’entretien d’explicitation etc. est ici nécessaire pour une méthodologie cohérente d’analyse .
Le contrat stipule que l’équipe doitécrire sur cette pratique innovante. On voit bien l’intentionnalité institutionnelle : faire connaître des pratiques jugées novatrices pour donner à d’autres des idées, des envies. C’est la stratégie escomptée de la ? tâche d’huile ?.
Ecrire sur (et pas seulement pour) son activité professionnelle individuelle ou collective est aujourd’hui considéré comme unprocessus formatif. Cela éclaire l’acteur par la production d’une intelligibilité sur le sens de sa pratique et de la situation éducative dans laquelle il est plongé, et cette analyse peut lui donner des points d’appui pour ? ajuster le tir ? devant des difficultés.
Mais au-delà de cette auto-centration de l’écriture d’analyse, le processus est différent lorsqu’il s’agit d’écrire pour l’institution, oupour un public extérieur au groupe, celui des personnels de l’éducation. La publicité d’une pratique expose ses acteurs. Ceux-ci peuvent redouter d’être jugés par une hiérarchie qui ne trouvera peut-être pas si bien ce qu’ils font (et qu’en sera-t-il alors des moyens distribués ?). Ils peuvent avoir la tentation d’enjoliver, de gommer les problèmes, de présenter quelque chose de lisse, de logique et continu, de s’en teniraux résultats (d’autant qu’il faut s’auto-évaluer), au produit de l’action.
Alors que l’intérêt d’une innovation, c’est sa genèse contextuelle pour répondre à un problème, ce sont les tâtonnements d’une réflexion, les balbutiements d’une mise en place, l’histoire des difficultés rencontrées, son caractère souvent incohatif, aventureux, la confrontation à des difficultés et desrésistances multiples, à de l’imprévu. C’est une action nourrie de désir et d’enthousiasme, mais aussi de moments de découragement ! Ce qui est donc intéressant pour comprendre une innovation, c’est son processus, et pas seulement les critères de son efficacité, qui n’est que la conséquence de cette expérience vivante.
L’écriture comme commande institutionnelle peut êtrestérilisatrice : perçue comme ? devoir à la maison ?, obligation et pensum, surtout lorsqu’il s’agit de fiches-bilan ressemblant à un rapport administratif, un papier pour justifier a posteriori les moyens accordés. Ecrire pour soi ou pour l’équipe n’a rien à voir avec écrire pour un public externe : on reste dans l’implicite d’un contexte, d’une situation, d’expériences connues de tous : on? se ? comprend entre soi ! Pour un regard extérieur, on est dans l’allusif, la connivence, il manque beaucoup d’informations pour comprendre le vécu d’autrui ; sans compter la forme pas toujours compréhensible. Et c’est tout un travail, souvent douloureux, de rendre lisible pour d’autres une écriture faite pour soi ou « pour nous ». A moins d’écrire directement pour l’institution, mais alors sans s’impliquer, si cen’est stratégiquement.
L’accompagnateur à l’écriture doit clarifier cette situation : écrire pour soi (individu), pour nous (l’équipe), pour l’institution (obligation contractuelle), pour des collègues (public extérieur à l’établissement).
Son problème est de tenter d’articuler une injonction institutionnelle incontournable (pour laquelle il est payé !), avec une démarcheréellement formative, en évitant les dérives : comment faire pour que les activités d’écriture qu’il accompagne soit à la fois formatives pour l’équipe et utiles à l’institution et à d’autres acteurs ?
Ecrire sur sa propre pratique pour soi , c’est déjà être confronté à la double difficulté
1 d’analyser sa pratique, parce qu’on est au quotidien sans distance, le nez sur le guidon, pris dans l’urgence de l’action ;
2 d’écrire cette analyse, à cause des exigences de cohésion et de cohérence d’une textualisation de la pensée, constitutives de tout processus rédactionnel.
L’accompagnateur doit donc aider le groupe à saisir l’intérêt et d’analyser sa propre pratique, etde l’analyser entre autres par la médiation de l’écriture : double travail de motivation. L’aider à surmonter aussi la difficulté d’une écriture collective , car l’écriture est d’abord un processus individuel. Ecrire collectivement demande du temps, soit parce qu’il faut négocier une textualisation qui fasse consensus à la fois sur le fond et la forme, soit parce que l’on se répartit le travail, ce qui demandede discuter un plan, des échéances, des relectures réciproques pour améliorer le produit ? S’il est réussi, ce processus peut encore plus souder l’équipe. Mais l’aide est ici précieuse, car il peut y avoir des blocages rédactionnels, ou interpersonnels, des retards dans le calendrier etc.
C’est enraciné dans un type de démarche formative que peut naître une autre motivation : faire partager sonexpérience, écrire pour d’autres, des collègues. Ce qui va de soi pour des militants de mouvements pédagogiques, qui cherchent à transformer l’école , ne l’est pas pour ceux, plus nombreux, qui peuvent se trouver au chaud dans leur groupe, sans avoir forcément envie d’en parler à d’autres, et que l’on a repérés sans qu’ils se targuent forcément de leur action.Surtout quand l’innovation dérange (et qu’est-ce qu’une innovation qui quelque part ne dérange personne ?), et que ? se faire mousser ? entraîne des jalousies locales, où ? nul n’est prophète en son pays ? !
Les formes de communication doivent donc être réfléchies. Le conseiller en formation peut faire des propositions à l’Institution, toujours très soucieuse de bilans-papierpour justifier son rôle et la dépense des deniers publics, en quantifiant ses propres rapports, pour que celle-ci intègre dans le contrat des formes d’écriture où l’équipe peut s’impliquer, et où l’on touchera vraiment les collègues. Notre expérience de plus de quinze ans au comité de rédaction des Cahiers pédagogiques nous montre que si l’objectif est de motiver parl’information des gens à se lancer dans l’innovation, c’est moins par des fiches de type administratif, contre productives, que l’on y parvient, que par du récit d’expériences , avec du je et du nous, de la chair, des rires et des larmes, des anecdotes significatives qui font réfléchir. Ce que j’appelle un ? témoignage réflexif ? , où un individu ou/et une équipe raconte defaçon contextualisée son histoire d’innovateur, en explicitant les tenants et les aboutissants de ce qui a fait sens dans cette expérience, avec ses hauts et ses bas. De façon à ce que le lecteur n’ait pas devant lui un zorro de l’innovation, avec un projet idéal, une action exemplaire, des résultats sans discussion, mais quelqu’un à qui je peux m’identifier, qui a osé tenter quelque chose, avec toutes les imperfections de l’humain.Non pas de l’innovation prête-à-diffuser, mais du témoignage plus que du modèle ?
CONSEILLER EN INNOVATION : QUELLE PROFESSIONNALITE ?
Par le mandat donné par l’institution (repérer, contractualiser, accompagner ?), par les référents théoriques et les types de pratiques formatives convoquées (l’innovation, l’accompagnement, la méthodologie du projet,la dynamique des groupes, le contrat, l’évaluation, l’analyse des pratiques, l’écriture sur ses pratiques, l’analyse institutionnelle, la sociologie des organisations etc.), le conseiller en innovation, fonction émergente dans le champ de la formation, doit se professionnaliser , en particulier dans son rôle d’accompagnement.
Ce rôle implique des compétences à repérer et travailler, savoirs et savoir-faire biensûr, mais tout autant savoir être, car l’accompagnement est d’abord une attitude où toute technique sans conscience ne serait que ? ruine de l’âme ?. Il s’agit, autant que faire se peut pour un homme, de ne pas être dans une posture de jugement de valeur , surtout injonctive ou normative, qui mettrait dans une position de « surmoi » de l’équipe. Ce n’est pas évident, quand on estmandaté par une institution pour faire respecter un contrat, et que l’on a ses propres options pédagogiques et éducatives. Il s’agit d’aider à la clarification prospective par rapport au projet, à la décision autonome. Il s’agit d’adapter toujours une attitude d’analyse : analyse de sa propre pratique d’accompagnateur, et aide au groupe pour qu’il analyse sa propre pratique, en particulier des difficultés d’ordre psychologique,psychosociologique, organisationnel, institutionnel, partenarial, pédagogique voire didactique.
C’est un débat de savoir si, comme son nom l’indique, et dans quelle mesure, le ? conseiller ? en innovation doit conseiller, quelle conception il se fait du conseil par rapport à l’objectif d’autonomie de l’équipe, quel doit être son degré de discrétion et de modestie pour ne pas se substituer à la volonté desacteurs, parce qu’il est d’abord au service du groupe et du projet du groupe ?
Comment négocie-t-il sa double loyauté par rapport à l’équipe et à l’institution ? L’accompagnement est déontologiquement dans un cadre institutionnel, mais implique une attitude éthique vis-à-vis des personnes et d’un groupe. On le voit, qu’il s’agisse de problèmes techniques ou pluséthiques, le conseiller en innovation est un médiateur, un articulateur de registres et de niveaux, de tensions, voire de contradictions. Bref un être de complexité .
Michel Tozzi, professeur des Universités,
Directeur du Département des Sciences de l’Education de Montpellier 3,
et du Centre d’Etude et de Recherche sur les Formes d’Education et d’Enseignement (CERFEE-IRSA)
Notes
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Cf. Cahiers pédagogiques n°393, avril 2011 : ? L’accompagnement, une idée neuve en éducation ?.
Cf. Cahiers pédagogiques n° 346, sept.1996 : ? Analysons nos pratiques professionnelles ?.
? Changer la société pour changer l’école, changer l’école pour changer la société ? est par exemple la devise du CRAP ? Cahiers Pédagogiques.
Voir par exemple la brochure La règle, faudrait qu’on m’explique, CRDP de Créteil,