Philotozzi L'apprentissage du Philosopher

Observer une discussion à visées démocratique et philosophique

 

Observer une Discussion à Visées Démocratique et Philosophique (DVDP) pour l’analyser : pourquoi observer ? Quoi ? Comment ?

Michel Tozzi, professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université Montpellier 3, didacticien de la philosophie

Cet article a pour objectif de préciser pourquoi observer une DVDP, quoi et comment observer, et comment analyser cette DVDP à partir d’observations. Il postule l’intérêt de l’observation pour bien comprendre les objectifs et le fonctionnement d’une DVDP, et mieux s’y situer en tant qu’animateur ou participant. Il s’adresse aux praticiens et à leurs formateurs, ainsi qu’aux chercheurs.

Plan

I) La Dvdp et son analyse

A) Qu’est-ce qu’une Dvdp ?

B) Pourquoi et comment analyser une Dvdp ?

II) L’intérêt de l’observation

A) Pourquoi observer ?

B) Qu’est-ce qu’observer ? Qu’est-ce qu’un observateur ? Qu’est-ce qu’observer une situation éducative ou formative ?

C) Qu’est-ce qu’un bon observateur ? Quelles compétences pour un observateur ?

D) Le rôle de l’observation et des observateurs dans une Dvdp

1) La répartition des rôles

2) Le rôle de l’observateur dans une Dvdp

3) La place de l’observateur dans l’espace

III) Qu’observer dans une Dvdp ? Les objets et les sujets d’observation

A) Le réseau de communication dans le groupe

B) Les différentes fonctions 

1)      La présidence de séance, le président de séance (PS)

2)      La reformulation, le reformulateur

3)      La synthèse, le synthétiseur, le journaliste, le scribe

4)      L’animation ; l’animateur de la séance

5)      Les discutants

C) Les processus de pensée 

  1) la problématisation

  2) la conceptualisation 

  3) l’argumentation

D) Le verbal et le non verbal

IIII) Le rôle de l’observation et des observateurs pendant l’analyse d’une DVDP après la discussion

IIIII) Quelles compétences pour analyser une DVDP à partir d’une observation ?

 

I) La DVDP et son analyse

A) Qu’est-ce qu’une DVDP ?

La DVDP (Discussion à Visée Démocratique et Philosophique), est le dispositif (inflencé par Alain Delsol et Sylvain Connac), mis en œuvre de façon privilégiée par Michel Tozzi dans sa façon de pratiquer la philosophie dans la cité depuis 1996 (Café philo, atelier Philo etc.), et avec des enfants et des adolescents depuis 2000. Celle-ci représente l’une des méthodes possibles dans la diversité des Nouvelles Pratiques Philosophiques (NPP) (1). C’est simultanément l’une des formes d’apprentissage du débat démocratique, et l’une des façons d’apprendre à philosopher. L’originalité est d’articuler les deux dans une pratique sociale et éducative innovante.

Ce dispositif, dans une double perspective de formation à une citoyenneté réflexive et à une pensée autonome (« Penser par soi-même »), articule étroitement deux éléments :

1) Un cadre à visée démocratique, inspiré par la pédagogie coopérative et institutionnelle, avec une répartition entre les élèves ou les adultes de plusieurs rôles (président de séance, reformulateur, synthétiseur, discutants, observateurs…) ; des règles de prise de parole (tour de parole donné  dans l’ordre à celui qui lève la main, priorité à celui qui n’a pas encore parlé ou peu, perche tendue au muet, droit de se taire…) ; et une éthique discussionnelle (on n’intervient pas spontanément mais on lève la main, on ne coupe pas un camarade, on ne se moque pas…).

2) Des exigences intellectuelles garantissant la visée philosophique de l’activité, portées par le maître, l’animateur, qui accompagnent la discussion par des interventions ciblées sur la mise en œuvre de processus de pensée : définitions de notions, élaborations de concepts en extension à partir d’exemples/contre exemples, et en compréhension par la construction d’attributs, notamment à partir de distinctions conceptuelles (processus de conceptualisation) ; questionnement de ses opinions et de celle d’autrui, de leur origine, présupposés, conséquences (processus de problématisation) ; formulation d’hypothèses de réponse, d’arguments rationnels justifiant des thèses et des objections (processus d’argumentation).

La coopération des fonctions, comme entre-aide mutuelle entre participants (enseignant et animateur compris), et la confrontation sociocognitive sont au cœur de ce dispositif.

B) Pourquoi et comment analyser une DVDP ?

Il ne suffit pas de vivre une DVDP, c’est-à-dire d’y participer, quelle que soit sa place et son rôle dans la discussion, pour comprendre ce qui s’y joue, comment ça fonctionne au niveau des participants et du dispositif, et quelles peuvent être les raisons d’un bon fonctionnement ou de dysfonctionnements. On vit très souvent une situation – c’est le lot commun de la vie quotidienne – sans comprendre ou s’expliquer ce qui se passe : par manque de recul, « le nez sur le guidon » ; à cause de la dimension affective du vécu qui peut brouiller son intelligence ; à cause de sa place dans la situation (qui fait qu’on ne vit pas la logique d’acteur des autres) ; à cause de sa personnalité et de ses projections inconscientes qui orientent les interprétations spontanées ou plus élaborées de la réalité ; à cause surtout de la complexité du réel, de sa multidimensionalité (ici par exemple la dynamique du groupe de discussion, la dimension institutionnelle du dispositif, la question des procédures démocratiques, des processus de pensée etc.).

Pour comprendre ce qui se passe dans une DVDP, il faut donc l’analyser. Ce qui est systématiquement proposé en formation, comme un temps de formation après la discussion (une heure et demi d’analyse pour 3/4 d’heure à une heure de discussion. C’est un moment où l’on revient sur le vécu du dispositif et son fonctionnement, dans l’objectif d’une part de mieux les comprendre, et d’autre part d’améliorer la façon de s’y situer avec pertinence, quelle que soit la place occupée, mais en particulier, dans des formations d’animateurs de DVDP, en tant qu’animateur mettant en place, animant, régulant le dispositif, et menant ensuite son analyse avec les participants.

Analyser n’est pas juger, dire si c’était bien ou mal, par conformité ou écart par rapport à des des normes, en droit, mais comprendre-expliquer ce qui s’est passé dans les faits. Ni conseiller, car il s’agit d’analyser le passé, et non de se projeter dans l’avenir. Analyser, c’est créer de l’intelligibilité du réel ; accroitre son intelligence de la situation vécue, du dispositif utilisé, des acteurs partie prenante. Juger et conseiller les personnes sont des attitudes spontanées quand on revient sur une situation, dont il faut se garder – et c’est difficile – dans l’analyse, car elles entravent celles-ci. Le jugement est dans l’affectif-normatif, le conseil dans une empathie portée par une relation d’aide. L’analyse se veut plus rationnelle, elle suppose la suspension de l’action, le recul par le détour, la réflexion, de la méthode et des référents théoriques, comme des outils d’analyse : elle est construite.

L’observation est l’une des méthodes d’aide à l’analyse.

II) L’intérêt de l’observation

A) Pourquoi observer ?

Observer est nécessaire pour analyser à posteriori une situation, car l’observation accumule des informations pour l’analyse, informations que ne possèdent peut-être pas les participants, parce qu’ils sont impliqués dans l’urgence de l’action. L’entrainement à l’observation permet de percevoir et d’analyser au moment même de la situation des événements et éléments de celle-ci que l’on négligerait sans cette habitude. On peut ainsi mieux ajuster son activité à sa complexité et son évolution. Par exemple si l’on a observé un président de séance sans jamais l’avoir été soi-même, on se familiarise avec la façon de s’y prendre, on voit des difficultés auxquelles on peut être confronté dans cette situation, les façons pertinentes ou non de les affronter etc., familiarisation déjà avec une fonction que l’on va être amené à tenir.

B) Qu’est-ce qu’observer ? Qu’est-ce qu’un observateur ? Qu’est-ce qu’observer une situation éducative ou formative ?

Observer n’est pas spontané, c’est une posture adoptée volontairement. Un observateur est celui qui adopte cette posture. Elle suppose un retrait de la situation : physique pour ne pas être avec et comme les autres dans l’action (ici la discussion), et une non implication dans le déroulement de l’activité (ici ne participer ni à la coanimation ni à la discussion). C’est précisément cette position de recul qui va permettre, contrairement aux participants impliqués dans le déroulement, de voir certaines choses, d’entendre certains propos, de prendre certaines informations sur ce qui se passe et de les noter (ex : qui intervient combien de fois ? Les règles de prise de parole sont-elles respectées ? Est-ce que l’on tente de donner une définition de la notion en jeu ? Les discutants se posent-ils entre eux des questions etc.).

Observer, c’est prélever de l’information sur le réel, afin de mieux l’appréhender. On obtiendra des informations en répondant à des questions que l’on se pose sur ce que l’on observe. D’où l’intérêt de bien expliciter ces questions (Ex : pour observer la prise de parole dans un groupe, on peut se demander : qui parle, combien de fois, de temps, et à qui ?). Lobservation est en outre un outil pour l’évaluation, car c’est à partir des informations effectivement prélevées que l’on formulera un jugement éclairé par des critères orientant son observation.

Une situation éducative ou formative est une situation d’apprentissage. Dans son analyse de la situation, et donc son observation, on sera donc particulièrement attentif à tout ce qui peut permettre, dans les dispositifs et chez les acteurs, faciliter ou entraver les apprentissages (ex : y a-t-il un climat de sécurité et de confiance dans le groupe ; ou des conflits de personnes entre participants, ou avec l’animateur ? La tache proposée est-elle assez difficile, mais pas trop, pour que qu’un apprentissage puisse avoir lieu ? etc.).

C) Qu’est-ce qu’un bon observateur ? Quelles compétences pour un observateur ?

Observer implique de la méthode. Il ne s’agit pas simplement d’assister à la discussion, comme à un spectacle, d’être passif. Celui qui voudrait tout observer ne voit et n’entend pas grand-chose, car son empan de prise d’informations est trop large, et il disperse son attention entre trop d’éléments, sautant de l’un à l’autre. Un projet d’observation est nécessaire pour être un bon observateur :

- délimiter son champ d’observation, avoir un objet d’observation, pour pouvoir focaliser son attention (ex : observer une fonction, le reformulateur ; ou la répartition de la parole dans le groupe ; ou le processus de conceptualisation dans la discussion…) ;

- disposer d’outils d’observation (ex : une montre pour savoir combien de temps parle une personne ; une liste des participants pour cocher qui parle combien de fois ; un tableau pour noter les arguments par l’exemple, par le contre-exemple, par un argument abstrait…).

Le bon observateur est celui qui est au clair avec un cahier des charges : savoir ce que l’on va observer, savoir comment l’observer, être attentif à son objet d’observation en se concentrant sur lui sans se disperser dans la situation ou penser à autre chose hors situation, noter ses observations pour ne pas les perdre… Il faut donc faire le deuil de tout observer, admettre que l’on observe bien quand on n’observe pas tout – ce qui est impossible ; et que son observation sera partielle. C’est la raison pour laquelle il est bon d’avoir dans le dispositif plusieurs observateurs sur des objets d’observation différents, pour accroitre la quantité et la fiabilité des informations recueillies.

Mais pour être un bon observateur, et faire une bonne observation, ce n’est pas seulement une question de quantité de choses observées. Un observateur n’est jamais neutre, car toute observation est humaine, y compris avec des instruments de mesure supposés objectifs : il ne fait jamais un simple enregistrement, car toute perception est déjà une interprétation du réel. On connait la relativité du témoignage : on croit de bonne foi avoir vu ou entendu… ce qu’un autre témoin extérieur aussi sincère dément. Il faut donc relativiser un rapport d’observation, surtout quand s’y glissent des jugements de valeur implicites, car c’est un homme observant de l’humain ! Et pourtant un observateur, de par sa position même de retrait, récolte des éléments inaperçus des acteurs. Il doit avoir une visée d’objectivité, ce qui implique une maîtrise (toujours relative) de ses projections, et surtout de sa propension à juger.

Les compétences d’un bon observateur sont donc : être au clair sur un projet d’observation pour recueillir des informations précises (détermination de l’objet, d’observation, de la méthode et des outils utilisés), être attentif et concentré sur ce projet sans se disperser, savoir utiliser les outils d’observation, prélever des observations en s’abstenant de juger les acteurs. Pour cela, il faut s’en tenir à des faits. Bien observer suppose un entraînement.

D) Le rôle de l’observation et des observateurs dans une DVD 

1) La répartition des rôles

L’animateur, lors de la mise en place du dispositif dans sa complexité, en s’appuyant sur le volontariat ou en tutorant les élèves pressentis, répartit entre eux les différents rôles (président, reformulateur, synthétiseur etc.), dont les différents type d’observateurs selon l’objet ou le sujet observés.

2) Le rôle de l’observateur dans une DVDP

Chaque observateur dispose d’un cahier des charges concernant la spécificité de son rôle (Cf. III). Il a pour objectifs d’une part de prélever certaines informations pendant la discussion en fonction de son cahier des charges ; d’autre part de les restituer à la demande de l’enseignant-animateur dans la phase d’analyse de la DVDP, après la discussion.

3) La place de l’observateur dans l’espace

Les observateurs se mettent en retrait des discutants, pour avoir du recul par rapport aux interactions,  et aussi pour que le président les distingue bien de ces derniers ; mais ils restent assez proches, car ils doivent bien entendre ce qui se dit, et aussi voir le visage et les gestes de ceux qu’ils observent, car une grande partie de la communication passe par le non verbal. Ex : l’observateur du synthétiseur est assez près de celui-ci, pour voir ce qu’il écrit et comment il organise ses notes.

III) Qu’observer dans une DVDP ? Les objets et les sujets d’observation

Plusieurs éléments de la situation peuvent être observés, à répartir selon le nombre possible d’observateurs. En cas de groupe peu nombreux, on ne peut mettre beaucoup d’observateurs, ce qui dégarnirait le groupe des discutants (de 7 à 15 discutants) ; ce peut être au maximum la moitié de la classe, qui participera la fois suivante.

A) Le réseau de communication dans le groupe

Il s’agit d’observer la façon dont la parole circule dans le groupe. C’est un bon indicateur de la démocratie de la parole dans le groupe, sachant que le président donne la parole (il ne sera pas comptabilisé), et que le maître-animateur intervient sans le demander au président.

Cet indicateur peut être assez facilement mathématisé. Le plus abordable à compter, c’est : combien d’élèves dans le groupe-classe ? Combien de discutants ? Combien d’interventions de discutants qui ont parlé au total ? Combien d’interventions de chaque discutant ? Combien de discutants muets ? Combien d’interventions au total de l’animateur ?

On peut faire aussi des pourcentages : de parleurs par rapport au total des discutants ? De « discutants » gros parleurs, petits parleurs, et de muets ? D’interventions de l’animateur par rapport au total des interventions des discutants ?

Un outil simple : avoir devant soi la liste des participants (animateur compris), et cocher à chaque fois que l’un d’entre eux prend la parole. On sait ainsi à la fin le nombre de muets, combien de fois chaque discutant et l’animateur ont pris la parole, et on peut faire des pourcentages.

On peut aussi mesurer avec un chronomètre le temps de chaque intervention, donc connaître à la fin le temps total d’intervention de chaque discutant, et celui de l’animateur.

On peut aussi travailler le réseau des interactions : qui parle à qui ?, à partir de flèches reliant les participants dans un schéma où ils sont autour du cercle de discussion.

B) Les différentes fonctions 

On peut aussi observer chacune des fonctions. Ce n’est d’ailleurs pas la même chose d’observer une fonction dans le groupe, dépersonnalisée pour ainsi dire ; et d’observer quelqu’un, une personne précise, tenant une fonction. La distinction peut être utile, bien que les deux soient liés dans la situation, pour qu’une observation sur la fonction ne soit pas immédiatement prise pour une réflexion, voire une critique sur la personne qui la tient. L’observation vise à produire d’une part, dans une perspective de formation, des éléments d’intelligibilité du dispositif (étude des fonctions) ; d’autre part à donner des informations concernant l’apprentissage de compétences des personnes, puisque les fonctions impliquent des taches à tenir censées les développer.

1)      Présidence de séance, président de séance (PS)

La présidence de séance est une fonction qui vise à organiser dans un groupe de discussion une prise et une circulation de la parole démocratiques, c’est-à-dire favorisant l’expression du plus grand nombre (dans l’idéal tous), sans pression, coupure de la parole ou moquerie, dans le calme et la sécurité. Elle organise donc un ordre de parole régi par des règles. Elle doit rappeler si nécessaire qu’on n’intervient pas spontanément mais que l’on doit lever la main pour pouvoir intervenir ; garantir que l’on pourra parler si on le demande, mais à son tour ;  que l’on peut (et non doit) parler si l’on est sollicité, mais aussi que l’on peut se taire.

Ci-dessous deux outils simples pour réaliser le degré de parole démocratique dans un groupe, si l’on entend par idéal démocratique que chacun et tous parlent, le plus également possible en nombre et temps d’intervention (critère quantitatif, qui ne résume pas bien sur le tout de la démocratie, où doit intervenir la qualité argumentative des interventions, le souci collectif que la discussion progresse etc.).

- Travailler sur une liste des participants

Règles : pour intervenir on lève la main ; le président (ou/et un observateur ad hoc) coche le nom de l’intervenant candidat ou effectif sur sa liste, mais il donne la priorité à celui qui lève la main sans s’être encore exprimé, et au bout d’un certain temps tend la perche aux muets, qui peuvent la prendre ou non (Elle est statistiquement prise une à deux fois sur trois). Exemple :

Participant A  I I I

B I

C

D  I I

E

A a parlé trois fois, D deux fois, B une fois, C et E n’ont pas parlé. E lève la main : il interviendra en priorité, car il n’a pas jusque là parlé. A et B lèvent ensemble la main. B interviendra car il a moins parlé que A. Plus tard la perche sera tendue à C, s’il n’est pas encore intervenu.

Commentaire : la parole est donnée démocratiquement selon le critère démocratique quantitatif énoncé plus haut. Limite : il n’y a pas forcément de cohésion cognitive forte entre les interventions qui se succèdent, puisque l’on ne peut se répondre qu’en différé.

- Procéder par inscription progressive

Règles : pour intervenir on lève la main ; le président inscrit les demandes dans l’ordre des mains levées, mais il donne la priorité à celui qui lève la main sans s’être encore exprimé, et au bout d’un certain temps tend la perche aux muets, qui peuvent la prendre ou non.

Exemple à l’instant t, il y a sur la liste, dans l’ordre (les intervenants précédents le temps t sont barrés):

Valéry

Gaétan

Florence

C’est à Valéry, la première à avoir levé la main, inscrite et non intervenue jusque là, d’intervenir. Bruno, déjà intervenu, demande alors la parole. Il est inscrit sous Florence. Clément demande la parole, qui n’est pas sur la liste totale (pas encore intervenu). Il interviendra en premier, est inscrit sous Bruno, et immédiatement barré après son intervention. Puis c’est à Gaétan d’intervenir, puis Bruno. On tendra plus tard la perche à Jean, qui n’est pas sur la liste.

Même intérêt démocratique, même limite du dispositif. On perd en cohésion cognitive ce que l’on gagne en démocratie.

Dans les deux cas, c’est à l’animateur sur le fond de créer de la cohésion cognitive et de la progression collective, par ses reformulations, ses mini synthèses, sa mise en relation des interventions entre elles et avec la question du jour.

L’obervateur du président de séance connaissant ces règles peut observer ce qu’il en est de leur application.

Le président est une personne qui investit et gère cette fonction. Il ne doit pas intervenir sur le fond de la discussion. Il dispose ainsi d’une autorité de gestion de la forme de la discussion (pouvoir de donner la parole délégué par le maître ; en primaire, les élèves disent : « chef de la parole »). Il donne par là une forme organisée – une gestalt – aux échanges langagiers. Il gère aussi souvent le capital-temps de la discussion convenu avec l’enseignant, par des mots-clefs performatifs qui ouvrent et ferment ce moment (« Je déclare la discussion ouverte ». « Je déclare la discussion terminée »). Il peut aussi gérer, comme en pédagogie institutionnelle, la discipline : un élève signalé trois fois « gêneur » par le président est ainsi exclu de la discussion du jour.

Un président compétent est une personne qui donne la parole pas seulement en face mais aussi sur le côté, car il sait regarder un groupe ; il sait noter qui demande la parole, donne la priorité à celui qui ne s’est pas encore exprimé ou aux moins-disants, sait tendre la perche à  qui n’est pas encore intervenu ; sait gérer la parole selon des règles ; sait respecter le temps imparti ; et  éventuellement il sait gérer l’ordre disciplinaire sans brutalité. Un président juste est celui qui ne favorise pas son copain ou un leader, qui préside selon des règles dont il est le garant, et non selon son bon vouloir ou arbitraire personnel, qui assure l’égalité devant la parole, qui peut justifier par son système de prise des interventions qui doit maintenant intervenir.

L’observation va donc relever les informations sur cette fonction et celui qui l’exerce, à partir d’un cahier des charges comprenant un certain nombre de questions-guide : le PS voit-il bien physiquement tout le monde (placement dans l’espace) ? Balaye-t-il le groupe de son regard pour ne manquer aucun doigt levé, surtout sur ses deux côtés, ou prélever des informations gestuelles manifestant un désir de parler ? Introduit-il et clôt-il le temps de la discussion (« La séance est ouverte/fermée ») ? Enonce-t-il au départ les règles démocratiques de répartition de la parole, et les règles éthiques de la communication (on ne se coupe pas, ne se moque pas, ne s’injurie pas etc.) ? Est-il complètement dépassé par son rôle, n’osant exercer son autorité par les règles prévues, ne sachant résister à ceux qui le pressent de leur donner la parole ? Rappelle-t-il qu’il faut lever la main quand quelqu’un s’exprime spontanément sans son autorisation ? A qui donne-t-il la parole, et dans quel ordre ? Est-ce à un copain, à un leader ou quelqu’un en face, ou selon la règle aux doigts levés et dans l’ordre où il les inscrit ? Comment s’organise-t-il pour noter qui demande la parole ? Il peut ajouter les prénoms au fur et à mesure à sa liste en barrant le premier auquel il donne la parole, et c’est le premier des non barrés qui a le droit de parler ; ou avoir une liste de discutants et mettre des barres, pour savoir qui a le moins parlé etc. Donne-t-il la priorité à ceux qui n’ont pas encore parlé, voire aux moins-disants ? Tend-il au bout d’un moment la perche aux muets, sans pour autant les forcer à parler ? Fait-il faire un tour de table, avec droit de passer son tour ? Lâche-t-il un moment l’ordre d’inscription pour favoriser une interaction, quitte à revenir ensuite à celui-ci, ou est-il strict sur l’ordre ? S’en tient-il à donner la parole, ou contrairement à son rôle juge-t-il les propos, donne-t-il son point de vue ? Gère-t-il le temps (« Il nous reste 5’ de discussion » ?) Donne-t-il au temps convenu avec l’enseignant la parole au synthétiseur ? S’il a cette attribution, gère-t-il la discipline en attribuant des « gêneurs » à ceux qui perturbent la discussion, voir exclut-il certains éléves de la discussion en cours ?

2)      Le reformulateur

C’est une personne qui ne doit pas intervenir dans la discussion, pour accueillir la pensée d’autrui. Elle s’entraîne à écouter quelqu’un, à comprendre le plus exactement possible ce qu’il dit et à le reformuler le plus fidèlement possible (avec les mots de l’autre ou ses propres mots) : trois compétences nécessaires à une communication et à une  discussion exigeantes. L’enseignant ou le formateur lui demande régulièrement de redire ce qu’un camarade vient de dire, avec précision (exigence intellectuelle de compréhension) et fidélité (vertu éthique de respect des idées et de la personne d’autrui).

L’observation porte sur les questions suivantes : a-t-il une posture physique d’écoute, est-il attentif à ce qui se dit, concentré ? Prend-il ou non des notes pour mémoriser ? Si oui, que marque-t-il ? Quand on lui demande de reformuler, est-il embarrassé (Ne dit rien, ou « j’ai pas compris ») ? Reconnait-on clairement dans ses propos ce qui a été dit (compréhension et fidélité), ou les déforme-t-il ? S’en tient-il à reformuler, ou contrairement à ce qui est demandé émet-il un jugement, dit-il son point de vue ?

3)      Le synthétiseur, le journaliste, le scribe

Le synthétiseur est un élève ou un participant qui, n’intervenant pas dans les échanges (pour mieux écouter), écoute et cherche à comprendre ce qui se dit (comme le reformulateur), le prend en note sur une feuille au fur et à mesure des interventions, puis restitue oralement à chaud ce qu’il a entendu, à partir de ses notes, à un moment convenu (milieu, fin de discussion), qui lui est signifié par le PS (ou l’enseignant, le formateur, l’animateur). C’est la mémoire à moyen terme du groupe comme intellectuel collectif.

Questions pour l’observation : s’abstient-il, comme demandé, de participer aux échanges ? Est-il concentré ? Prend­-il des notes ? Comment : en continu (essaie-t-il de tout prendre ?), à intervalles réguliers (notant les idées essentielles) ? Prend-il au fur et à mesure les idées, chronologiquement, ou s’organise-t-il pour prendre des notes (surligneur, mots-clés, flèches, colonnes…) ? Quand il fait son rapport, arrive-t-il à se relire, et comprend-il ce qu’il lit ? Est-ce clair, ou déforme-t-il les idées ? Ajoute-t-il, contrairement au contrat, son point de vue ? Fait-il un compte rendu chronologique de quelques idées notées, ou a-t-il fait un effort pour les structurer (très difficile à chaud, plus facile à froid, en reprenant ses notes).

Il peut y avoir aussi le ou les journalistes (souvent deux), qui ont aussi pris des notes sans intervenir, et ont pour tache de les confronter et les restructurer à froid, ou le scribe qui note les idées essentielles au tableau pour les relire à la fin…

4)      L’animateur de la séance

C’est le plus souvent en classe l’enseignant, et parfois un élève. Dans l’observation en formation d’enseignants à la Dvp, cette observation du formateur est essentielle pour la suite, où les enseignants formés seront à leur tour animateurs. Il s’agit de se familiariser avec la boite à outils de l’animateur de Dvp.

Le rôle de l’animateur est de conduire la séance sur le fond (le président de séance s’occupant de la forme). Mise en place du dispositif : choix de l’espace pour l’atelier philo et aménagement en rond ; répartition des différents rôles entre les élèves sur la base du volontariat ou avec étayage ; placement de certains de ces rôles dans l’espace (ex : il est symboliquement près du tableau, entre le reformulateur qu’il interroge de temps en temps et le président de séance, avec lequel il coanime, lui-même à côté du synthétiseur auquel il donnera la parole) ; négociation avec le PS de la coanimation, du temps total consacré à la discussion, du moment où celui-ci donnera la parole au synthétiseur etc. ; lancement de la question de départ, avec ses enjeux ; question à la cantonade pour mettre le groupe en recherche, ou nominative pour approfondir tel point avec un élève ; reformulation d’une intervention, ou mini synthèse d’un moment de débat ; recentrage ou recadrage quand on s’éloigne du sujet ; relance des échanges quand ils s’essoufflent ; souci de la cohérence d’ensemble, en mettant les interventions en relation avec la question posée, et entre elles ; progression du débat, en faisant le point des avancées (questions, notions, thèses, arguments), en lançant une nouvelle piste, en déplaçant la question, en examinant des présupposés ou conséquences ; veiller aux processus de pensée : demander aux élèves de (se) poser une question, d’énoncer une réponse à la question, de l’argumenter, ou de contester une thèse de façon raisonnée, de définir une notion, d’explorer une distinction conceptuelle ; sauter de ce point de vue sur l’opportunité (le kairos) d’une nouvelle notion qui apparait, d’une distinction qui émerge… Et conduite après la discussion du temps de son analyse, en demandant aux rôles principaux ci-dessus, puis aux discutants, une évaluation de leur prestation, avec l’aide des observateurs.

Il s’agira donc pour l’observateur de l’animateur d’établir une typologie des interventions qu’il observe (dont un échantillon est donné ci-dessus), avec des exemples illustratifs des moyens qu’il emploie pour son animation de Dvp. Dès qu’il repère un nouvel « outil » de l’animateur, il le caractérise et le note, avec un exemple qui l’exemplifie.

Lorsqu’un formé devient en formation animateur, on peut observer s’il pense à utiliser tel ou tel outil en s’appuyant sur la typologie établie, à enrichir peu à peu au cours des débats. Ex : quand on s’éloigne du sujet, recadre-t-il le débat, en rappelant la question ? Quand le groupe s’essouffle, pense-t-il à lui poser des questions qui le remettent en recherche (A-t-il prévu ce genre de question avant le débat ?) ? Quand l’échange se cantonne à des exemples répétitifs, demande-t-il un attribut commun à ces exemples pour que l’on entre dans une conceptualisation ? Quand un élève affirme quelque chose, lui demande-t-il un argument pour étayer sa thèse ? Quand deux élèves entrent dans une forte polémique, reformule-t-il la question de départ pour que les autres élèves se prononcent ? Pointe-t-il quand une idée nouvelle apparait ? Emploie-t-il des mots-clés, métacognitifs, qui rendent perceptibles pour les élèves les processus de pensée : exemple, contre exemple, attribut de définition, thèse, anti-thèse, argument, contre-argument etc. ?

5)      Les discutants

On peut aussi observer, outre les fonctions qui assurent la coanimation de la Dvdp (animation, PS, reformulation, synthèse…), tel ou tel discutant. En particulier quand on a beaucoup d’observateurs (la moitié de la classe par exemple). Voici quelques questions éclairantes.

Sur la prise de parole : est-il concentré, attentif, ou dispersé, moqueur voire injurieux ? Est-il muet ou participe-t-il ? Répond-il si le PS lui tend la perche ? Respecte-t-il les règles de la discussion ? Rentre-t-il en interaction sociocognitive, ou seulement socioaffective avec ses camarades ?

Sur le fond : intervient-il en se centrant sur la question du jour, ou hors-sujet ? En répondant aux questions du prof à la cantonade ? N’avance-t-il que son point de vue, ou a-t-il le souci collectif de faire avancer le débat ? Entre-t-il dans des polémiques, ou essaie-t-il d’être constructif ? Pose-t-il lui-même des questions, à ses camarades ou à lui-même à haute voix ? Essaie-t-il de définir certains mots, de faire des distinctions, de produire des thèses, des arguments, des objections ? Répond-il aux objections ?

C) Les processus de pensée 

Observer une fonction ou une personne dans une discussion, c’est quelque chose de déjà difficile, qui s’apprend par l’exercice, notamment avec un cahier des charges ; observer un processus de pensée dans un échange d’idées en est une autre, très inhabituelle, et qui demande un apprentissage spécifique, pour lequel il faut aider les élèves de cycle 3 et les enseignants qui se forment à la Dvdp.

Ce sont les processus de pensée à l’œuvre dans la discussion qui lui donne la dimension philosophique de la réflexivité. Il faut donc les connaître pour les susciter quand on est animateur, pour les mettre en acte quand on est discutant, et les appréhender quand on est observateur. Le fait de les observer aide à comprendre leur intérêt pour une pensée qui se veut réflexive.

La problématisation vise à s’étonner (Aristote), douter (Descartes), mettre en question ce que l’on croit vrai sans examen, mettre sous forme de question à examiner ses affirmations, interroger les présupposés et les conséquences de ce que l’on affirme, éclaircir un problème et ses enjeux.

La conceptualisation est le processus par lequel on cherche à donner un contenu conceptuel à une notion, notamment par un travail de distinction conceptuelle, et de réseau notionnel qu’elle implique.

L’argumentation est une démarche rationnelle d’examen de questions, dont on juge si elles sont ou non bien posées, solubles ou indécidables, quelles sont les réponses possibles éventuelles, lesquelles sont peu consistantes et pourquoi, lesquelles peuvent être fondées en vérité et selon quelles raisons.

  1) Observer la problématisation, c’est notamment observer l’état du questionnement dans le groupe et chez les discutants : les questions de l’animateur visent à faire réfléchir individuellement les élèves et collectivement le groupe. Plus intéressantes du point de vue de l’apprentissage du philosopher sont les questions qui émanent des élèves (ou des participants) eux-mêmes, car il y a alors dévolution du questionnement de l’animateur aux discutants : questions que les discutants se posent entre eux pour se comprendre, se critiquer mutuellement ou s’entr’aider. Mais aussi question que les discutants se posent à eux-mêmes à haute voix, les plus intéressantes, car elles sont le signe tangible qu’ils sont en train de réfléchir en s’interrogeant (un « indicateur de réflexivité »)…

Il s’agit donc pour les observateurs de repérer quand émergent notamment ces deux types de questions, avec les exemples à l’appui. Un petit tableau peut aider les observateurs en ce sens.

Aide à l’observation du questionnement dans le groupe

 L’animateur

_____________

Un discutant

 pose une question

_____________

pose une question

  à un participant

(fonctionnement

Exemple 1, 2…

_____________

à un autre discutant

Exemple 1,2…

(intéressant : il y a dévolution du

      au groupe

habituel en

Exemple 1, 2…

_____________

au groupe

Exemple 1, 2…

questionnement aux élèves)

 à lui-même à voix haute donc au groupe

classe)

Exemple 1

___________

à lui-même à voix haute donc au groupe

Exemple 1

(le plus intéressant : un élève s’interroge vraiment, est en réflexion)

 

  2) Observer la conceptualisation, c’est noter dans les échanges l’état et l’évolution des définitions des notions-clés dont on a besoin pour penser la question et y répondre, ainsi que les distinctions conceptuelles qui émergent dans cet objectif. Par exemple, pour savoir si « l’amour est-il une illusion ? », il faut d’une part définir l’amour, qui n’est pas l’amitié (distinction conceptuelle), définir un de ses champs d’application (par exemple la relation entre deux adultes), si l’on parle d’un coup de foudre ou d’un projet à deux (deux définitions différentes) etc., et ne pas confondre illusion et erreur… On pourra noter au fur et à mesure les notions apparaissant dans la discussion comme nécessaires à la réflexion, le réseau conceptuel mobilisé (par exemple pour amour émotion, passion, sentiment, temporalité – éphémère/durable – dépendance/liberté etc. ; pour illusion être/apparaitre, erreur/mensonge  etc.).

Il faudra donc noter dans l’observation :

- si la définition de la notion est travaillée en extension : par l’exemplification (non ce qu’est un ami mais « Valéry est mon ami »), ou le contre exemple (« Je n’aime pas Laurent ») ;

- ou en compréhension, par l’énoncé des attributs qui me permettent d’appréhender le contenu de la notion (« l’amitié est une relation entre êtres qui se choisissent parce qu’ils s’aiment bien, confiante – on se confie des « secrets » – et durable). 

- et par les distinctions conceptuelles (ami/amoureux), le réseau notionnel mobilisé (ami, copain, camarade, ennemi, attachement, sentiment, intimité, durée etc.).

Là aussi, un petit tableau peut aider à observer et prendre des notes. Exemple :

Aide à l’observation de la conceptualisation sur « Qu’est-ce qu’un ami ? » en CE2

Définition par l’exempleValérie, c’est mon amie Définition par les caractéristiquesIl est choisi parmi bien d’autres (un ou deux amis seulement)

On l’aime et ça dure longtemps malgré les disputes

On a confiance en lui et on lui confie ses secrets

Distinctions conceptuelles 

Ami, c’est différent de copain ou camarade

On l’aime un peu, mais si on se dispute, c’est plus mon copain

On joue avec lui, mais on ne lui dit pas ses secrets

Distinctions conceptuelles 

Ami, c’est différent de amoureux.

 

On aime tous les deux, mais on embrasse le premier sur la joue, le second sur la bouche

On n’arrrive pas à tout lui dire

Autres notions évoquées 

amour, aimer

embrasser

être ensemble

jouer

se disputer

durable ou pas

secrets

confiance

 

  3) Observer l’argumentation, c’est repérer par rapport à une question posée les différentes réponses proposées – appelées thèses ou anti-thèses -, avec pour chacune les arguments proposés, ou les différentes objections faites. C’est l’état ou l’évolution de la validation probatoire et/ou objectante dans les échanges du groupe.

Question

Réponse 1 (thèse soutenue)

Argument pour soutenir la thèse – objection à cet argument

Réponse 2 etc.

Observer l’argumentation, c’est aussi repérer les différents types d’argument, c’est-à-dire utiliser pour une typologie d’arguments : par l’exemple, le contre-exemple (qui vaut opposition à tout raisonnement abusivement inductif), par un argument plus abstrait ;  par un argument de type logique etc.

Aide à l’observation de l’argumentation

  Affirmation (thèse  soutenue)Exemple 1

Formuler la thèse

 Argument pour soutenir la thèseExemple 1

Formuler l’argument

Préciser s’il s’agit :

- d’un exemple

- d’un argument plus abstrait

- quel type d’argument (suppose alors une typologie fournie)

Objection à l’argumentExemple 1

Formuler l’objection

Préciser s’il s’agit :

- D’un contre-exemple

- D’un contre argument plus abstrait

- De quel type ?

Réponse à l’objectionExemple 1

Formuler la réponse à l’objection

 

D) Le verbal et le non verbal

Les processus de pensée portent sur le cognitif, le verbo-conceptuel dans un échange d’idées. Mais il peut aussi être éclairant d’observer le non verbal, le visage et ses mimiques, les gestes, car le corps parle et pense, et nous en apprend beaucoup sur chaque individu et sur ce qui se passe dans un groupe, l’articulation entre l’affectif et le cognitif, le corps et la pensée, l’émotion et la raison. On observe un comportement, il est difficile d’interpréter son sens sans se projeter. L’exercice est difficile pour des enfants, et même pour des adultes.

IIII) Le rôle de l’observation et des observateurs pendant l’analyse d’une DVDP après la discussion

Une Dvdp est doublement formatrice, par son fonctionnement démocratique, à l’éthique communicationnelle, et par ses échanges réflexifs. Mais elle l’est aussi par l’analyse que l’on peut faire de ces deux dimensions dans l’après-coup, en classe ou en formation. Il s’agit de comprendre ce qui s’est passé, à la fois démocratiquement et philosophiquement. Les observateurs peuvent aider à cette analyse par les informations qu’ils ont récoltées sur des points précis (telle fonction, telle personne, tel processus de pensée etc.). L’observateur sur un point précis est à l’extérieur du cercle des discutants ; il ne doit pas intervenir pendant la discussion, pour se concentrer sur son objet et projet d’observation. Il intervient à la demande de l’animateur au moment de l’analyse de la discussion, en restituant sans jugement ce qu’il a observé.

IIIII) Quelles compétences pour analyser une DVDP à partir d’une observation ?

La méthode d’analyse ci-après a fait ses preuves : l’animateur conduit l’analyse méthodiquement, faisant analyser par le groupe plusieurs aspects de la discussion successivement. Par exemple d’abord les fonctions (PS, reformulateur, synthétiseur, animateur, discutants…). Sur chacune d’entre elles, il donne en priorité la parole à l’acteur pour qu’il produise de l’autoanalyse de sa fonction, et non de la justification à posteriori si l’on commence par lui renvoyer des observations ; puis à l’observateur qui livre ses observations, en lui demandant de ne pas juger : il régule l’ensemble, et complète par sa propre analyse de chaque fonction. Puis il donne la parole aux observateurs des processus de pensée, qui livrent leurs observations exemplifiées, et complète selon sa propre appréhension des processus de pensée dans la séance.

Cette méthode suppose chez l’analyste de la séance une capacité périphérique à observer et analyser la discussion au moment même où il l’anime, et à garder en mémoire ces éléments ; une bonne connaissance du dispositif, de ses fonctions, des divers processus de pensée ; et si possible des éléments plus larges d’analyse des situations éducatives et didactiques ; enfin la maîtrise de la démarche méthodique décrite plus haut. Tout ceci peut s’apprendre en formation et sur le tas.

Notes

(1) Voir Nouvelles pratiques philosophiques à l’école et dans la cité, Chronique Sociale, 2012.

Bibliographie

Sur la discussion à visée philosophique :

- « Un dispositif de discussion philosophique dans la classe », Entre-vues, revue de l’enseignement de la morale belge, n° 37, 1998.

- Apprendre à philosopher par la discussion : pourquoi ? Comment ? De Boeck, Bruxelles, 2007.

- La littérature en  débats : discussions à visée littéraire et philosophique à l’école primaire, Sceren-Crdp Montpellier, 2008.

- « La philosophie à l’école primaire », Chapitre 1 de l’ouvrage Les nouvelles pratiques philosophiques, Chronique sociale, 2012

Sur l’analyse d’une Dvp :

- « Analyser une discussion philosophique : quatre niveaux d’analyse », Diotime n° 13, mars 2002.

- Symposium sur les outils pour la Dvp, Cerfee, Université Montpellier 3, juin 2004.

- « Quelle démarche pour la formation aux nouvelles pratiques scolaires à visée philosophique avec les enfants », Diotime n° 48, avril 2011.

- « Se former aux nouvelles pratiques philosophiques », chapitre sur la formation de l’ouvrage  Les nouvelles pratiques philosophiques, Chronique sociale, 2012.

Sur l’analyse plus large des situations éducatives :

- Cahiers pédagogiques sur l’analyse des pratiques professionnelles n°, 1997.

- « Analyse des pratiques professionnelles, où en sommes-nous ? », Cahiers pédagogiques sept. 2002.

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