Le développement de la philosophie avec les enfants : une interpellation pour la philosophie et son enseignement
Des pratiques se réclamant de la philosophie se développent en France depuis cinq ans à l’école primaire et au collège (surtout dans les Segpa), accompagnées par des sessions de formation dans une dizaine d’Iufm et nombre de circonscriptions, et analysées par des recherches (deux colloques et un symposium en 2003, huit thèses en cours).
Elles interpellent la philosophie de plusieurs façons :
• sur…
la légitimité de la caractérisation de ces pratiques . S’agit-il plutôt d’? éveil de la pensée réflexive ?, de discussions ? à visée philosophique ?, ou d’ateliers de ? philosophie ?? La conception de la philosophie, la définition du philosopher renvoient à un débat didactique et philosophique, au c?ur du colloque de Balaruc avec l’InspectionGénérale.
• Sur le fondement politique de ces pratiques d’enseignement : sont-elles la concrétisation d’un droit du citoyen (thèse de J.C. Pettier, 2000), un ? droit à la philosophie ? (J. Derrida), un ? droit de philosopher ? (G. Berger au colloque de l’Inrp 2001), droit de penser explicite dans la Convention internationale des droits de l’enfant ?
• Sur laconceptualisation de l’enfance : est-elle ce lieu et ce moment du préjugé et de l’erreur (Descartes), ou peut-on postuler en droit (avec Monteigne par exemple), son ? éducabilité philosophique ? ? Le concept vygotskien de zone proximale de développement, celui d’étayage de Brunner peuvent-ils éclairer les capacités réflexives empiriquement constatées?
• Surl’enseignement de la philosophie : par rapport à la matrice de l’enseignement philosophique français en terminale (le cours comme oeuvre de pensée, les textes comme exemples, la dissertation comme modèle d ?apprentissage), ces pratiques innovantes, par le relatif retrait du maître sur le fond, la question des élèves comme point de départ, le primat de la discussion, proposeraient un autre paradigme organisateur del’apprentissage du philosopher, interrogeant par la même le patrimoine de notre tradition didactique.
• Sur la place et le rôle de la philosophie à l’école , notamment en amont de la terminale. Ces pratiques sont au confluent de missions fondamentales : la maîtrise de la langue, par l’? oral réflexif ? (D. Bucheton) de l’interaction socio-cognitive à visée philosophique ;l’éducation à la civilité et la citoyenneté, par l’ ? éthique discussionnelle ? (Habermas) ; la construction identitaire du sujet, par l’expérience du cogito d’un sujet parlant-pensant (J. Lévine), le rapport fondateur au sens. Ne montrent-elles pas ainsi le lien essentiel de la philosophie à l’école ?
• Plus généralement, par la culture dela question (mettant au principe du désir de savoir le sens), et non de la réponse, un statut du maître ? sachant douter ? plus que ? supposé savoir ?, un rapport non dogmatique à la connaissance et problématique à la vérité, un rapport coopératif à la loi par l’adhésion aux règles communicationnelles d’une ? communauté de recherche ? (Lipman), ces pratiquesinterrogent la nature des rapports au savoir scolaire et aux règles régissant la classe, le rôle du maître dans ces rapports, et partant l’école.
Michel Tozzi, professeur d’université à Montpellier 3
Directeur du CERFEE (Centre de Recherche sur les Formes d’Education et d’Enseignement)
3 rue de Navarre, 11100 Narbonne
michetozzi@aol.com
Bibliographie
-Tozzi et al :
L’éveil de la pensée réflexive à l’école primaire, CRDP Montpellier-CNDP-Hachette , 2001.
Discuter philosophiquement à l’école primaire. Pratiques, formations, recherches, CRDP Montpellier, 2002.
Nouvelles pratiques philosophiques en classe, enjeux et démarches, CNDP-CRDP de Rennes, 2002.
Les activités à visée philosophique en classe : l’émergence d’un genre ?, CNDP-CRDP de Rennes 2003.
– Revue Diotime L’Agora , en ligne au CRDP de Montpellier.
– Actes des colloques 2003 de Balaruc (Desco), Montpellier (cd rom), Nanterre (CRDP Rennes) à paraître.