La discussion à visée philosophique à l’école primaire et au collège : recherches, où en sommes-nous ?
Les pratiques de discussion à visée philosophique à l’école primaire et au collège sont devenues ces cinq dernières années un nouvel objet de recherche, à l’intersection des sciences de l’éducation, de la philosophie et de sa didactique, des sciences du langage : colloques de Paris (INRP 2001), CRDP Rennes (2002), Balaruc et CRDP Nanterre (avril et juin 2003), CRDP Caen (2004) ; symposium au congrès…
de l’AECSE (Lille 2001), lors des colloques de Montpellier sur la discussion (mai 2003) et l’analyse des pratiques (juin 2004) ; colloque du Parlement belge (fév.2004)…Des thèses ont été soutenues (Pettier 2000, Auguet 2003, Connac 2004), ou sont en cours (Pilon, Boudou-Roux, Leroy, Bulhman, Espécier, Go…). Les ouvrages de référence sur ces pratiques se multiplient1
.
Ce symposium a été l’occasion de faire un état des lieux de la recherche, et de l’interroger : où en sommes-nous aujourd’hui des recherches menées et en cours ? Quels sont les types de recherches repérables, les objets investigués, les hypothèses avancées, les méthodologiesconvoquées, les difficultés rencontrées ? Quels sont les premiers résultats ? Qu’en est-il de ces recherches sur une innovation où s’intriquent pratiques nouvelles diversifiées et tentatives variées de formation ? En quoi la recherche s’appuie-t-elle sur les pratiques, et accompagne-t-elle les pratiques et la formation?
QUELS TYPES DE RECHERCHES ?
S’il faut faire un inventaire des recherches menées ou en cours, nous pouvons inventorier :
- la recherche universitaire classique, celle qui va pour les étudiants poursuivant leurs études ou les professionnels les reprenant, de l’initiation à la recherche (maîtrise, maintenant M1, mastère 1 ère année), au 3 ième cycle(DEA voire DESS, soit le M2 et surtout la thèse) : elle est sanctionnée par un diplôme attestant le niveau escompté pour la recherche conduite ; et celle des chercheurs titulaires au sein de leurs équipes, qui donne lieu à des communications, des articles, des ouvrages…
- la recherche-action, qui associe des praticiens de terrain à des chercheurs proposant des protocoles àexpérimenter et analyser ;
- la recherche-formation, qui accompagne des actions de terrain innovantes par une formation des praticiens (elle-même innovante), l’analyse des pratiques et la recherche.
Ces deux derniers types de recherche sont significatifs s’agissant de nouvelles pratiques à visée philosophique, parce celles-ci constituent uneinnovation. Il n’est pas facile de démêler dans ces opérations ce qui relève de la pratique de classe, de la formation des enseignants, de la simple analyse des pratiques de classe ou de formation, de la recherche sur ces pratiques et ces formations…
I) LA RECHERCHE UNIVERSITAIRE CLASSIQUE
C’est J.C. Pettier qui a soutenu la première thèsesur la question en 20002
. Emergea progressivement en même temps un pôle de recherche universitaire à Montpellier 3, au sein du Centre de Recherches sur les Formes d’Enseignement et d’Education (CERFEE-IRSA), animé par M. Tozzi : de juin 2000 à oct.2004, 16 maîtrises soutenues sur les nouvelles pratiques, 3 DESS,7 DEA, 2 thèses (6 sont en cours). Le CERFEE a coorganisé avec l’IUFM de Montpellier :
- un colloque sur « La discussion en éducation et formation » les 23 et 24 mai 2003, introduit par Jean-Marc Ferry en référence à Habermas3
, avec un symposium sur« le rôle du maître » dans ces nouvelles pratiques (coanimé par S. Queval et M. Tozzi) ;
- un symposium sur « Les outils d’analyse d’une discussion à visée philosophique » les 4 et 5 juin 2004, lors d’un colloque sur l’analyse des pratiques professionnelles dans une perspective de socialisation démocratique.
Un corpus considérable de scripts, d’enregistrements a été réuni, banque de données à enrichir, mais déjà supports possibles de nombreuses autres recherches…
D’autres universités ont encouragé ces travaux (Strasbourg 2, Lille 34
). Des praticiens, formateurs d’IUFM, doctorants, chercheurs furent encouragés à faire des communications dans des colloques universitaires (ex : symposia sur ces nouvelles pratiques aux congrès de l’AECSE de Lille en septembre 2002 et de Paris en septembre 2004), dans les Biennales de la Formation et de l’Education (2002 et 2004) etc..
Du mémoire de maîtriseà la thèse, en passant par les masters (ex DESS ou DEA), on observe les méthodes de recherche suivantes, qui sont celles des sciences humaines :
- enregistrements de séances, avec transcription linguistique des échanges, et étude des corpus (interactions cognitives des élèves avec le maître et vice versa; exercice de rôles etfonctions par les élèves, processus de pensée à l’œuvre…) ;
- monographies longitudinales de certains élèves, à partir du corpus de leurs interventions dans les verbatims sur plusieurs mois ou années (par exemple dans le DUEPS et le mémoire de maîtrise de J. Leroy-Treiber, ou la thèse de S. Connac sur trois ans);
- observations de praticiens en classe, cliniques ou objectivantes (avec des grilles d’analyse), distanciées ou participantes ;
- entretiens non directifs de recherche avec les enseignants, avec une analyse de contenu le plus souvent thématique (par exemple sur le choix et le sens des dispositifs, le rôle du maître, les compétences réflexives ou« citoyennes » développées chez les élèves, les retombées sur la classe…) ;
- entretiens oraux ou questionnaires écrits d’élèves (cycle 3), sur le sens pour eux de ce type d’activité, et la façon dont ils s’y prennent ;
- étuded’écrits d’élèves (à partir du CE1) avant, pendant (écrits des reformulateurs et synthétiseurs), et après les séances (ex : DEA de N. Boudou-Roux, thèse de S. Connac)…
Les objets d’étude dépendent en partie du ou des objectifs poursuivis : apprentissage du philosopher,développement de pratiques langagières réflexives, éducation à la citoyenneté, construction identitaire du sujet…
- A. Perrin
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, professeur de philosophie à l’IUFM de Paris, montre ainsi que les ateliers de philosophie del’AGSAS, coordonnés par J. Lévine, psychologue du développement et psychanalyste, travaillent sur les préalables au développement d’une pensée philosophique par la posture du cogito. Elle montre aussi comment un travail à visée philosophique à partir de la littérature de jeunesse peut inciter les enfants à émettre une pensée qui leur est propre.
Ces objets d’étude sont référés à des pratiques connues : protocole de A. Pautard et J. Lévine, méthode autogestionnaire de J. F. Chazerans6
, communauté de recherche de M. Lipman, dispositif démocratico-réflexif de A. Delsol ou S. Connac,entretien de groupe de A. Lalanne, maïeutique socratique de O. Brénifier7
. Ils peuvent porter sur ces objectifs ou ces dispositifs (taille du groupe, disposition spatiale, entrée en matière, phases successives, temps métacognitif, répartition ou non de fonctions spécifiques dans le groupe, rôle ou non du tableau,utilisation du dessin, mise en jeu ou pas du corps…), sur les supports du questionnement (questions des élèves, romans ad hoc, littérature de jeunesse, contes, mythes philosophiques…), sur le degré de guidage du maître quant à la forme et au fond, sur les interactions verbo-conceptuelles (analyse du réseau de communication, tours de parole, approches quantitative et qualitative des échanges), sur l’articulation del’oral et de l’écrit (cahier de philosophie), sur les compétences requises du maître et celles développées par les élèves, sur les démarches de problématisation, de conceptualisation et d’argumentation, sur la question de l’évaluation de ce type d’activité etc.
- Sur ce dernier point, J.C. Pettier et T.Bour ont mené de 2001 à 2004 dans l’académie de Créteil une analyse comparative entre deux groupes d’élèves d’IME (Institut Médico Educatif), l’un seulement pratiquant des discussions à visée philosophique, pour étudier l’impact de cette activité sur les apprentissages scolaires.
Les champsthéoriques et les auteurs convoqués dans les recherches menées sont diversifiés : philosophie (notamment Socrate et les dialogues platoniciens aporétiques, Aristote et sa logique, le Descartes du doute méthodique, les méthodes actives et la finalité démocratique de Dewey, l’agir communicationnel de J. Habermas), didactique du philosopher (M. Lipman, M. Tozzi, J.C. Pettier…), sciences du langage, del’information et de la communication (notamment la pragmatique), psychologie sociale des interventions verbales (ex : école néo piagétienne de Genève, Goffman), psychologie développementale (Piaget et Kohlberg pour Lipman, Wallon, Vygotski, Bruner), psychanalyse (Lévine), sciences de l’éducation (théories socio constructivistes de l’apprentissage, avec les concepts de représentation/opinion, de conflitsociocognitif ; théories de la motivation), didactiques disciplinaires (ex : concepts de transposition didactique de Y. Chevallard, de dévolution du problème de Brousseau), courants théoriques de l’éducation nouvelle (méthode coopérative de Freinet, pédagogie institutionnelle de Oury et Vasquez)…
DEUX TYPES D’OUTILS POUR LA RECHERCHE
Essayons d’organiser cet inventaire à la Prévert.
On pourrait distinguer deux types d’outils :
1) Des outils d’analyse langagiers.
- G. Auguet
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a opérationnalisé dans sa thèse un certain nombre de référents sur un corpus différencié de cycles 2 et 3. Il dégage, en s’appuyant notamment sur le concept de genre (emprunté à Bakthine), et sur celui de genre scolaire (emprunté à Schneuwly), les attributs d’une DVP (discussion à visée philosophique), qu’il considère comme unnouveau genre scolaire. Celle-ci, sur les scènes englobantes de la philosophie et de la pédagogie, et sur la scène générique du dialogue, engendre une posture à la fois locutive, intellectuelle et éthique, mettant en synergie, dans une compétence générique discursive, des capacités énonciative, interactionnelle, conversationnelle et textuelle. - A. Delsol
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, à partir d’un extrait de corpus de sa grande section de maternelle, explique en quoi le passage du on au je permet d’installer ses élèves dans l’assomption de leur propre pensée (expérience du cogito dit J. Lévine), et comment il les y aide. On trouve la même orientation chez F. Carraud10
. La pronominalisation serait ainsi un indicateur de l’implication existentielle de l’élève. On peut débattre sur ce point : car le « on » peut être refus d’implication, masque d’un je qui préserve sa « face » (Goffman), être la reprise d’un tout lemonde le pense (le on préjugé de Heidegger), mais aussi bien esquisser une généralisation qui s’extrait du singulier empirique…
Ces outils langagiers présentent un intérêt certain pour analyser ces nouvelles pratiques, et sont très utilisés par E. Auriac-Peyronnet, maître de conférences à l’IUFM d’Auvergne11
: théorie des actes de langage ; genre comme forme discursive socialement construite dans et par les discours ; formes énonciatives par lesquelles le sujet s’inscrit dans son discours avec plus ou moins d’implication ou de distance, et désigne la place de l’autre ; places et rôles que chacun occupe dans undiscours en fonction du cadre participatif, des contraintes et du contexte de l’échange ; règles d’alternance, tensions, continuités, ruptures qui structurent, dynamisent ou éteignent l’échange (analyse conversationnelle)…Mais il faut aussi souligner les limites d’indicateurs langagiers pour rendre compte d’une pensée intérieure complexe, qu’ils ne saisissent que par leur transcription linguistique,obligeant à inférer de manière assez aléatoire d’une production langagière à un processus de pensée.
2) Des outils d’analyse plus disciplinaires, sous deux formes, philosophique et didactique :
a) P. Usclat par exemple, dans son DEA12
, expose en quoi la philosophie de Habermas permet d’éclairer philosophiquement la DVP pratiquée à l’école primaire, à partir de quatre concepts clés : la pratique de la communauté de recherche renvoie à sa « pragmatique universelle » ; celle de discussion à la recherche du « meilleur argument » ;l’éthique communicationnelle convoque la « situation idéale de parole » ; et le fait de devenir acteur « l’agir communicationnel ».
Reste l’autre référence fondatrice, celle de Socrate et de sa maïeutique, dont s’inspire directement O. Brénifier, avec les interrogations critiques que peut soulever le Socrate très directif dePlaton.
b) Sur la didactique du philosopher comme créatrice d’outils d’analyse :
Il y a évidemment les outils déjà élaborés aux Etats-Unis et au Québec par le courant lipmanien de la philosophie pour enfants13
.
- M. Tozzi
14
, en partant de la matrice didactique du philosopher élaborée dans sa thèse en 1992 (articulation de processus de problématisation, de conceptualisation et d’argumentation sur des notions etquestions fondamentales), a mis au point pour les observations en classe de ces processus un tableau à utiliser de façon plus ou moins approfondie (de l’élève de cycle 3 au chercheur qui travaille sur des verbatims, en passant par le formateur d’IUFM). - S. Connac
15
développe dans sa thèse les analyses que l’on peut extraire de scripts de DVP, soit par une analyse quantitative permettant d’isoler les évolutions d’une communauté de recherche au cours de l’année, soit par une analyse qualitative donnant des informations longitudinales sur la maîtrise réfléchie et articulée des processus du philosopher.
Celui-ci, travaillant sur l’articulation entre philosophie et démocratie, pensée réflexive et éducation à la citoyenneté, montre dans sa thèse :
- que les élèves de ZEP sont capables d’apprendre à philosopher ;
- que les pédagogies coopérativesfacilitent l’apprentissage de la pensée réflexive par des habitus scolaires d’attitudes actives et d’éthique communicationnnelle ;
- que des discussions à visée philosophique constituent une nouvelle « institution » dans ce type de pédagogie, bien distincte par exemple du quoi de neuf ou du conseil.
On ne peut que regretter le peu de travaux produits en philosophie même sur la question du philosopher avec les enfants. Cette situation provient certes de la réticence du corps des philosophes à considérer ces pratiques comme philosophiques. On trouve le relevé et l’analyse de ces objections dans le mémoire de C. Vallin16
. Il y a certes les travaux de C. Vasseur17
, et le travail de P. Usclat, qui fonde ces pratiques en référence à la philosophie d’Habermas18
. Il faudrait multiplier cestravaux, pour éviter une dissolution possible de ces pratiques dans les sciences du langage, la didactique du français (avec l’orientation actuellement prise vers la littérature de jeunesse comme support), ou des sciences de l’éducation qui seraient déconnectées d’un enracinement philosophique.
II) D’AUTRES TYPES DE RECHERCHE
Il s’agit on l’a vu de recherches-actions ou de recherches-formation.
Comme exemple de recherche-action, on peut renvoyer par exemple à A. Pautard (IMF) et J. Lévine (chercheur), qui ont mis au point un protocole19
stabilisé utilisable de la moyennesection de maternelle à la troisième, à partir duquel ce dernier tire, à partir d’un large corpus de séances, un certain nombre de conclusions sur la façon dont les élèves abordent les problèmes philosophiques suivant leur âge.
Comme exemple de recherche-formation, on peut citer les formations (jusqu’à quatre semaines) organisées dès 1998 par M.Bailleul, Maître de conférences à l’IUFM de Caen20
, avec la participation progressive dans cette académie de professeurs de philosophie pour garantir la philosophicité des démarches : il y a là une formation à des pratiques inédites, des activités nouvelles en classe dans lesintersessions, l’analyse de ces pratiques lors des regroupements de stagiaires, mais aussi les communications et articles de M. Bailleul sur ce type de formation, les pratiques qu’elles engendre, la vérification que des enfants peuvent apprendre à philosopher, et des enseignants le leur apprendre etc.
De même, dans le GER 2002-2004 de la DAFPI/IUFM de Montpellier sur l’oral réflexif (piloté par M.Tozzi), on expérimente en classe, de la grande section de maternelle au CM2, des discussions à visée philosophique, à partir des mêmes mythes platoniciens traduits pour les élèves de l’école primaire (et vérifiés par des philosophes), on confronte et analyse ces pratiques, on soulève et formalise les questions pratiques et théoriques qui se posent, on s’autoforme collectivement à une pratiqueinnovante, à son analyse. Le GER a par exemple mis en évidence qu’au cycle 2 les enfants n’accèdent au sens de la caverne de Platon que par l’éthique (« Faut-il dire la vérité aux autres prisonniers au risque de se retrouver seul ? »), alors qu’au cycle 3 émerge le problème épistémologique (« Le monde est-il tel que nous le voyons ? »)21
…
Dans une autre direction, qui prend pour support, conformément à l’importance désormais prise dans les programmes du primaire par la littérature de jeunesse, le GER a approfondi l’articulation possible entre le débat d’interprétation en didactique dufrançais et la discussion à visée philosophique22
.
F. Galichet, professeur des universités en philosophie à l’IUFM de Strasbourg, qui avait dirigé la thèse de J. C. Pettier, a lui aussi animé un groupe de recherche-formation23
La connaissance de ces nouvelles pratiques a permis de nouvelles recherches, intéressant les sciences de l’éducation, les didacticiens de la philosophie, les psychologues sociaux, les didacticiens du français…Elle s’est appuyée sur l’organisation deplusieurs colloques spécifiques annuels, réunissant dans une même enceinte de nombreux praticiens, avec quelques formateurs et chercheurs. Sans être des colloques universitaires au sens classique du terme, ceux-ci ont donné lieu, un peu comme dans les Biennales, à des descriptions de pratiques, des analyses, des expérimentations de pratiques pendant le colloque, des compte- rendus de recherche…
C’est à l’issue du premier colloque, qui s’est symboliquement ouvert à l’INRP en avril 2001, que J.F. Chazerans, professeur de philosophie à Poitiers, animateur de café philo versé dans les TICE, proposa d’ouvrir un site24
, qui s’est enrichi depuis d’une centaine de documentsdivers, et une liste de diffusion pour les participants, très active, qui soulève de nombreuses questions à approfondir par la recherche. Le caractère innovant des pratiques a fortement impliqué de nombreux praticiens dans des recherches : internet a favorisé la circulation des échanges et des productions. Par exemple la recherche sur le rôle du maître, lancée au 2 ième colloque à Rennes en 2002, adonné lieu en 2002-2003 à de nombreux textes de praticiens utilisés ensuite dans des mémoires de maîtrises25
, et les conclusions ont été tirées dans un colloque universitaire au symposium de Montpellier en mai 2003.
J. P. Gabrielli, ancien professeur de philosophie,coanimateur du café philo de Vannes, et directeur du CRDP de Rennes, proposa d’organiser le second colloque, les 22 et 23 mai 2002, dans son CRDP, donnant ainsi une caution institutionnelle (avec subvention ministérielle) à la réunion, puis obtint par son réseau la participation du CDDP de Nanterre (4 et 5 juin 2003) et du CRDP de Caen (26 et 27 mai 2004).
- La diffusion des pratiques, formations et recherchess’est aussi faite par des publications.
Dans un premier ouvrage en 2001, L’éveil de la pensée réflexive à l’école primaire (le mot philosophique avait été supprimé par les éditeurs, le CNDP et Hachette !), M. Tozzi catégorisa empiriquement les quatre courants qu’il observait : « psychanalytique » (il dirait plusaujourd’hui « psychologique », le cogito lévinien étant plus cartésien que freudien ; A. Pautard parle de « courant préalable à la pensée ») ; langagier (l’oral réflexif des didacticiens du français) ; citoyen, ancré dans la discussion démocratique des pédagogies coopératives ; et philosophique (Lipman notamment) : lesdifférents précurseurs s’y exprimaient.
Dans un deuxième, La discussion philosophique à l’école primaire, Pratiques-formations-recherche, CRDP Montpellier, avril 2002, le mot est lâché. Il deviendra plus modestement, sur la proposition de J.C. Pettier, discussion « à visée philosophique », pour insister sur l’idéal régulateur del’intentionnalité. A. Lalanne publia son expérience de cinq ans dès 2002, avec une préface sympathiquement étonnée du très antipédagogiste François Dagognet, ancien président de l’agrégation de philosophie. Suivront les actes des colloques, publiés par le CRDP de Rennes. Diotime l’Agora, revue de didactique de la philosophie du CRDP de Montpellier, allait diffuser dèsson premier numéro, en mars 1999, nombre d’articles de praticiens, formateurs ou chercheurs, avec des dossiers spéciaux sur ces pratiques au primaire, au collège, avec des élèves en difficulté…
- L’intérêt suscité progressivement auprès de professeurs de philosophie d’IUFM crédibilisa la démarche
26
. Jean-Marc Juret, de formation philosophique, a soutenu le premier mémoire professionnel sur la philosophie en Segpa (CAPSAIS) en 1999 à Angers. Ces mémoires professionnels vont se multiplier chez les PE2, en lien souvent avec la maîtrise de l’oral, le débat ou la citoyenneté. Certes un mémoire professionneln’est pas une recherche au sens universitaire, mais une analyse de pratique éclairée par quelques référents théoriques. Leur acceptabilité peu à peu acquise dans l’institution montre qu’il y a là un corpus nouveau à exploiter pour des recherches sur l’émergence d’une innovation dans le système éducatif, et ses conséquences sur la construction d’une identitéprofessionnelle renouvelée des enseignants débutants. - L’enseignement privé n’est pas en reste, puisqu’au cours de ses Assises Nationales du 1 er décembre 2001, une de ses actions prioritaires adoptée était de « développer le questionnement philosophique à l’école primaire et au collège » : ce qui amènera l’UNAPECà diffuser les expériences sur son site, à organiser pour les régions volontaires un stage national en 2002-2003 et 2003-2004, et des DDEC ou des CFP (ex : Montpellier, Toulouse, Angers) à en proposer, et à financer des recherches
27
… - Le colloque de Balaruc, du 26 au28 mars 2003, coorganisé par les pôles académiques innovation des académies de Montpellier, Caen et Créteil, et le bureau des innovations de la Division des enseignements scolaires (DESCO) du Ministère de l’Education Nationale, est considéré comme historique, car les Inspections de philosophie générale et régionale, jusque là officiellement absentes sur un champ, le premier degré, qui ne relevait pasde leur discipline, s’impliquèrent dans les débats. Elles prirent connaissance des expériences, convinrent que c’était réflexivement formateur (tout en trouvant que c’était peu philosophique), et entendirent les arguments de leurs partisans, tout en donnant les leurs : le débat sur ces pratiques, jusqu’ici ignorées voire méprisées par la philosophie institutionnelle, put enfin avoir lieu sur ladouble question de leur caractère formateur et de la légitimité de leur visée philosophique (alors que la pratique de M. Lipman n’est guère contestée par exemple au Québec ou en Belgique par les philosophes eux-mêmes).
- C’est précisément sur la formation des enseignants à ces nouvelles pratiques que le colloque de novembre 2004 (IUFM Caen) devaitréfléchir, en présence d’universitaires de départements de philosophie et de sciences de l’éducation, et des Inspections de philosophie et du premier degré.
Conclusion
Nous avions rassemblé dans le projet de symposium les recherches actuelles qui nous semblaient les plus significatives :
- par le champ d’application : maternelle (Delsol, Treiber-Leroy), élémentaire (Connac, Vangeenhoven), collège (Bliez, Thierry-bour), formation (Bliez, Auriac-Peyronnet)
- par les référents théoriques convoqués : psychologie génétique de Wallon (Treiber-Leroy) ou de Piaget (Vangeenhoven), psychologiesociale des interactions sociales verbales (Auriac-Peyronnet), analyse des discours (Auguet, Delsol), pédagogie institutionnelle (Connac)…
De l’analyse des communications exposées ou parvenues, on peut juger de l’intérêt des hypothèses travaillées : la discussion à visée philosophique ferait émerger dans le systèmeéducatif un “ genre scolaire ” nouveau (Auguet); une “ nouvelle institution ” dans les pédagogies coopératives (Connac) ; elle contribuerait à développer un degré de coopération plus élevé, le raisonnement argumentatif, le jugement moral, l’estime de soi (Auriac-Peyronnet), ce qui corrobore les études menées sur la méthode de M. Lipman dans le monde28
; elle modifierait chez les élèves le rapport à la loi (Connac, Auriac-Peyronnet), et au savoir (Bliez), favoriserait le développement de compétences linguistiques et langagières (Delsol, Pettier-Bour), cognitives (Treiber-Leroy), notamment par la formulation et la verbalisation du questionnement (Vangeenhoven). Cesmodifications pourraient s’expliquer en partie par le repositionnement du maître dans son rapport à la parole, au pouvoir (plus participatif), et au savoir (moins dogmatique), instaurant une culture de la question et de l’exigence intellectuelle dans le groupe-classe comme “ communauté de recherche ” (Dewey et Lipman).
Notes
(Cliquez sur les pour revenir au texte)
1 – Tozzi et al : L’éveil de la pensée réflexive àl’école primaire, Cndp-Hachette, 2001.
La discussion philosophique à l’école primaire, Crdp Montpellier, 2002.
Nouvelles pratiques philosophiques en classe, Crdp Bretagne, 2002.
Les activités à visée philosophique en classe, émergence d’un genre ?, Crdp Bretagne,2003.
Lalanne A., Faire de la philosophie à l’école élémentaire, Esf, 2002.
Michaux Y, La philo 100°/° ado, Bayard Presse, 2003.
Philo à tous les étages, Crdp Bretagne, 2004.
Galichet F., Pratiquer la philosophie àl’école, Nathan, 2004.
2 – La philosophie en éducation adaptée : obligation ou nécessité ?, Strasbourg 2, 2000. Elle est publiée aux Editions Septentrion de Villeneuve d’Ascq, et résumée dansl’ouvrage : Philosopher, un droit et des pratiques pour tous, Chronique sociale, Lyon, 2004.
3 – Cd rom des 110 communications au service des publications de l’université Montpellier 3. Symposium sur « Le rôle du maître dans lesdiscussions à visée philosophique », in Tozzi M., Etienne R. La discussion en éducation et formation, L’Harmattan, Paris, 2004.
4 – C’est à Lille 3 qu’a été soutenue une double maîtrise en philosophie etsciences de l’éducation : Vasseur C., Philosopher avant le lycée?, Lille 3, Juin 2001. Celle-ci a poursuivi son DEA en philosophie sur la question. Par ailleurs une unité d’enseignement semestrielle de la licence de sciences de l’éducation a été mise en place à Lille 3 par S. Queval et C. Vasseur à partir de 2002-2003 pour former les étudiants à la philosophie avec les enfants.
5 – « La réflexion philosophique avec les 5-11 ans », Diotime l’Agora n°19, nov. 2003, Crdp Languedoc-Roussillon.
6 – « La méthode de l’intervenant », Diotime l’Agora n° 17, mars 2003, Crdp Languedoc-Roussillon.
7 – Voir son site
8 – Auguet G., « La discussion à visée philosophique en cycle 2 et 3 : un genre nouveau en voie d’institution ? », Montpellier 3, déc. 2003. Dans son DEA, « Approche linguistique de la philosophie pour enfants », Montpellier 3, oct. 2000, il a dégagé les instruments linguistiques, notamment pragmatiques, qui permettent d’analyser des corpus dediscussions.
9 – Communication au symposium sur « Quels outils pour l’analyse des discussions à visée philosophique », colloque IUFM-Montpellier 3, juin 2004.
– Bigot V., Carraud F., « La place des « discours du je » dans l’émergence d’une pensée et d’une parole philosophique chez des enfants de cycle 3 », Colloque d’Arras sur la parole, 2004.
12- « Le problème du rôle du maître dans la discussion à visée philosophique au CM2 et la question de sa participation », oct. 2004, Montpellier 3.
13 – Voir A l’école de la pensée, De Boeck, Bruxelles, 1995,et la dernière édition remaniée, Thinking in Education, Cambridge University press, Cambridge, 2003. Ou l’ouvrage de M. Sasseville La pratique de la philosophie avec les enfants, Presses de l’université Laval, 2000. La méthode Lipman a été introduite au Québec dans les années 1985, par le biais du cours de morale (travaux de Pierre Lebuis), comme en Belgique (par l’association Phare,créée à Mons par Marie-Pierre Doutrelepont). Elle intéressera très vite des philosophes universitaires, comme Michel Sasseville à la faculté de Laval (Cf son rapport à l’UNESCO de 1999 sur la philosophie pour enfants dans le monde).
18 – Voir note 11. Il continue sa thèse sur cette base.
19 – On peut lire le compterendu des expériences menées dans les n° 6,7 et 9 de Je est un autre, revue de l’AGSAS, ainsi que dans son numéro hors série de février 2001. Ou le témoignage d’A. Pautard dans les Actes du colloque de Balaruc (op. cit.). Pour comprendre les principes sous-tendus dans cette approche, voir l’article de J. Lévine « Les ateliers de philosophie de l’AGSAS : spécificité, pratiques etfondements », in GFEN, Pratiques de la philosophie n°9, janv. 2004. Ou mon intervention au colloque de Bruxelles du 14 février 2004 : « Lipman, Lévine, Tozzi : différences et complémentarités », in Leleux C. (coord .), Apprendre à penser dès 5 ans, De Boeck, Bruxelles, à paraître en 2005. Consulter aussi le site http://ateliers.philo.free.fr
20 – Bailleul M., Barbier C., Pallascio R., 1998, « Une formation à la démarche Philosophie pour enfants », in Bulletin de l’Association Québécoise de Philosophie pour enfants, Québec.
Bailleul M.,2002, « Former à la philosophie pour enfants », in Diotime – L’Agora n°14, juin 2002, CRDP Languedoc-Roussillon.
21 – Voir l’ouvrage de Tozzi M., Débattre sur les mythes à l’école primaire, Col Argos duCRDP de Créteil (à paraître)..
22 – Bucheton D., Tozzi M., Littérature de jeunesse et débats réflexifs, Argos, Crdp de Créteil (à paraître).
24 – http://pratiquesphilo;free.fr/index.htm L’auteur a établi une sitographie significative in Les activités à visée philosophique en classe, CRDP Bretagne, 2003.
« Philosopher à l’école élémentaire, GRF de Strasbourg », Diotime l’Agora n° 12, juin 2002.
http://pratiquesphilo;free.fr/index.htm L’auteur a établi une sitographie significative in Les activités à visée philosophique en classe, CRDP Bretagne,2003.
Ex : « Le rôle du maître dans les discussions à visée philosophique », Julien Gineste, Montpellier 3, juin 2003 hilosophique en Segpa », Alexandra Issartel, Montpellier 3, oct. 2003 (d’après la classe de Segpa de V. Haas-Reboul).
26 – Par exemple Jean-marc Lamarre ou Edwige Chirouter au Mans, Alain Trouvé ou Nadia Lamm à Rouen, Anne-Laure le Guern ou Isabelle Olivo à Caen, N. Bliez à Lille, Annick Perrin à Paris, Pascal Bryf à Lyon, N. Go à Draguignan etc.
27 – Par exemple : – Discuter philosophiquement à l’école primaire : quelles pratiques pour des professeurs d’école débutants, CFP/IFP de Montpellier, 2001-2003, 82 p..
- L’introduction de pratiques à visée philosophique dans des collèges, idem, 2003-2005 (Pilotage des recherches M. Tozzi).
28 – Mortier F., professeur à l’Université de Gand, « La méthode de Matthew Lipman comme moyen de développement : études d’évaluation », colloque de fév. 2004 du Parlement de Bruxelles sur « La philosophie pourenfants » (Actes à paraître chez De Boeck, 2005).