Philotozzi L'apprentissage du Philosopher

La question de la possibilité, en fait et en droit, pour des enfants et des adolescents, de philosopher, est désormais posée en France1 . Des pratiques diversifiées qui se réfèrent explicitement à la philosophie se développent depuis quelques années à l’école primaire, plus …

récemment en collège ; des formations sont proposées dans une dizaine d’IUFM et dans certaines circonscriptions par des inspecteurs ; un pôle de recherche s’est constitué autour de maîtrises, de DEA et de thèses2 . Des sites internet recueillent des données, et des praticiens échangent sur des listes3 .

Il s’agit en France d’une innovation : référence inédite à un champ disciplinaire, la philosophie, jusque là absente des programmes du 1er degré ; rupture totale avec la tradition de l’enseignement de philosophique français, cantonnéà la terminale, et qui a toujours refusé, malgré les propositions du GREPH4 dans les années 1975, de l’anticiper.

Nous faisons l’hypothèse que ces nouvelles pratiques, à base de discussions, pourraient bien, dans le contexte d’une crise sociétale du sens, et une crise scolaire du rapportau savoir et à la loi, constituer une contribution significative pour le renouvellement de l’enseignement et du fonctionnement du système éducatif. Et ce parce qu’elles développent :

• une maîtrise linguistique, langagière et conceptuelle de la langue orale, par l’interaction sociale verbale de leurs conflits socio-cognitifs ;
• un rapport coopératif à la loi,par la négociation de règles nécessaires au déroulement d’un débat démocratique, et l’adhésion à l’“ éthique communicationnelle ” (Habermas ) que celui-ci implique, éduquant ainsi, par des régulations procédurales et processuelles, à la civilité et à la citoyenneté ;
• un primat d’une“ culture de la question ” sur l’habitus de la réponse, qui (re-)donne aux élèves un sens aux apprentissages, parce que la connaissance apparaît comme la recherche de solutions aux problèmes qu’ils se posent ;
• un rapport non-dogmatique au savoir, perçu non comme absolu et définitif, mais comme socialisé, confronté et discuté parce qu’il fautadministrer sa preuve dans une communauté de recherche, donc à la fois évolutif et non arbitraire ;
• un déplacement constructiviste du rôle du maître, concepteur d’un dispositif discussionnel, “ maître-ignorant ” socratique (J. Rancière), sujet-sachant-douter et non “ sujet-supposé-savoir ”, partageant son pouvoir et sa parole, mais garantd’exigences réflexives et éthiques ;
• des exigences intellectuelles de problématisation de pseudo-certitudes, de conceptualisation de notions, d’argumentation rationnelle de thèses et d’objections5 , qui garantissent la philosophicité de l’échange, et préservent le débat démocratique de la démagogie et de la sophistique.

Ces pratiques entraînent une vision renouvelée de l’enfance, capable de philosopher, et non plus condamnée à l’erreur et au préjugé. Elles interrogent la pédagogie et la didactique. Comment accompagner dans l’enfant l’apprenti-philosophe, dès lors qu’on cherche d’autres voies quel’enseignement philosophique traditionnel : à savoir le cours du professeur comme “ œuvre ”, penseur pensant devant ses élèves ; les textes comme exemples et “ modèles ” de pensées et de doctrines ; la dissertation comme “ patrimoine non négociable ” (programme d’août 2000) incontournable de l’apprentissage du philosopher. Elles interpellent aussi la (re-)définition du philosopher, dès lors qu’on ne réduit pas la philosophie à la “ création de concepts ” (Deleuze), à l’élaboration de doctrines par de grands penseurs, mais qu’on pense plutôt en terme d’apprentissage du philosopher (Kant), de démarche d’interrogation et de recherche.

C’est dans un tel contexte que s’inscrivent lestravaux de Jean-Charles Pettier. Par son parcours d’instituteur spécialisé en collège, et sa réussite à un concours de recrutement en philosophie, il avait la position idéale pour soutenir une thèse sur “ La philosophie en éducation adaptée ” (oct. 2000, Strasbourg 2). L’originalité de son apport consiste de mon point de vue en trois points :

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Dans cet ouvrage où il élargir le propos à tous les élèves, il tente de relever le défi de Diderot : “ Rendons la philosophie populaire ! ”. En commençant par l’école. Et sans oublier les adolescents en difficulté scolaire. C’est un pari qui repose sur le postulat de “ l’éducabilité philosophique desjeunes ” ; sur une revendication, “ leur droit de philosopher ”, philosophiquement et politiquement fondé sur les droits de l’homme et de l’enfant ; et sur une réflexion pédagogique : accompagner ces apprentis-philosophes pour qu’ils “ pensent par eux-mêmes ”.

Restaurer dans l’élève en échec la dignité de l’être pensant,et éveiller à la pensée réflexive les enfants et les adolescents dans une société démocratique, telles sont les ambitions de l’auteur ….

Michel Tozzi

Professeur d’université en sciences de l’éducation à Montpellier 36

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Notes
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1 Cf le manifeste “ Pour le droit de philosopher dans l’éducation ”, publié à l’issue du colloque qui s’est tenu à l’INRP les 25 et 26 avril 2001. (cf Diotime-l’Agora n° 11 de sept 2001, CRDP Languedoc-Roussillon. A noter que les Assises de l’enseignement catholique de décembre 2001 ont fait du “ questionnement philosophique à l’école primaire et au collège ” une de leurs actionsprioritaires.

2 Pour un panorama des pratiques, formations et recherches voir Tozzi M. (Coord.) :

• L’éveil de la pensée réflexive à l’école primaire, CNDP-Hachette, 2001.
• La discussion philosophique à l’école primaire. Pratiques, formations, recherches, CRDP Languedoc-Roussillon, 2002.

3 Par exemple : www.multimania.com/philosopher, avec d’autresliens, comme www.marelle.org/users/philo ou www.chez.com/gillg14/etc.

4 GREPH : Groupe pour la Recherche sur l’Enseignement Philosophique, fondé par J. Derrida. Cf. Qui a peur de la philosophie ?,Flammarion, 1979.

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6 Contact : michetozzi@aol.com

Travaux : site www.philotozzi.com