Auteurs et oeuvres à l’oral de rattrapage
Il y a longtemps que le français, qui a une trentaine d’années de recherches en didactique, s’est lancé dans l’étude de l’oral au baccalauréat. Les travaux de B. Veck à l’INRP sont significatifs en la matière : banque de données annuelle sur les listes d’oral, et production d’analyses quantitatives et qualitatives sur ce corpus. Rien de tel en philosophie : aucune… banque de données, aucune étude à notre connaissance sur la question. Pourtant les bases objectives de constitution de corpus existent : chaque enseignant doit établir en deux exemplaires, dont un annexé au livret scolaire, la liste des œuvres et passages qu’il a étudiés dans l’année, en vue de l’examen oral éventuel des candidats. Nous avons voulu enquêter modestement, en 1999,sur la rumeur qui circule selon laquelle les œuvres proposées seraient très réduites en nombre. Rumeur alimentée par les examinateurs qui parcourent chaque année les listes de leurs candidats. L’échantillon, non représentatif, porte sur vingt-cinq enseignants réunis lors d’un stage national. L’intérêt de ce “ sondage ” est d’amener à formuler certainesinterrogations. Que ressort-il d’abord des questions posées. La moitié des auteurs (17 sur les 34 au programme à cette époque) ne sont jamais mentionnés : nommément Lucrèce, Marc-Aurèle, Augustin, Thomas d’Aquin, Machiavel, Montaigne, Hobbes, Pascal, Malebranche, Leibniz, Montesquieu, Hume, Comte, Cournot, KierKegaard, Husserl, Heidegger. Sont cités quinze fois Descartes (avec en prime lesMéditations métaphysiques, puis le Discours de la méthode), et Platon ( avec en tête Gorgias et Ménon, mais aussi Le Banquet, Lysis, L’apologie de Socrate et Phèdre) ; 11 fois Rousseau (avec massivement le Contrat social, puis Le discours sur l’origine de l’inégalité) et, plus étonnant par sadifficulté, Spinoza (surtout l’Ethique, mais aussi le Traité théologico-politique). Puis par ordre décroissant Freud (Les cinq leçons 5 fois, puis Pourquoi la guerre, L’interprétation des rêves, les Essais de psychologie appliquée) ; Kant (L’idée d’une histoire universelle 5 fois, La politique, Le conflit desfacultés, la préface à la 2ème édit. de la Critique de la Raison pure) ; Epicure 6 fois (La Lettre à Ménécée) ; Nietzsche 5 fois (Ainsi parlait Zarathoustra, Le gai savoir, la généalogie de la morale, Naissance de la tragédie) ; ainsi que Bergson (L’âme et le corps, La pensée et le mouvant ; L’évolutioncréat….) ; Epictète (Le Manuel), Marx (Le Manifeste) et Alain (Propos sur l’éducation, Eléments de philosophie). Sont cités une seule fois Aristote (Ethique à Nicomaque), Hegel (La Raison dans l’histoire) ; Bachelard (Le rationalisme appliqué) ; Sartre (L’existentialisme est-il un humanisme ?) , Merleau-Ponty (Le cinéma etla nouvelle psychologie). Au-delà d’une liste (relativement arbitraire) d’auteurs au programme, il serait intéressant d’analyser pourquoi, dans le cadre de la liberté du professeur, sont privilégiés de tels choix : élimination de la moitié des auteurs, plébiscite de certains auteurs et rareté d’autres, élimination de nombre d’œuvres d’auteurs choisis etplébiscite de certaines. Quels sont les critères de choix et de rejet, et leur combinaison ? Pour davantage étayer ce premier débroussaillage, une approche quantitative par questionnaire, ou une analyse d’un corpus régional ou national significatif de listes d’oral serait souhaitable. De même qu’une approche plus qualitative par entretiens, qui permettrait de vérifier ou deformuler des hypothèses compréhensives. On pourrait penser par exemple à des critères de choix :
- – philosophiques : auteurs jugés incontournables pour apprendre à philosopher, exemples et modèles d’une pensée philosophique ; œuvres ou passages significatifs dans l’histoire de la philosophie, moments forts de la tradition, joyaux du patrimoine…
- -didactiques : ouvrage particulièrement représentatif de tel problème à traiter, en relation avec telle ou telle notion du programme ; illustration ou support pour la construction du cours ; passages susceptibles de développer des compétences de problématisation, de conceptualisation, d’argumentation…
- – pédagogiques : taille raisonnable de l’œuvre ; partieformant en soi un tout ; texte accessible pour des débutants ; édition bon marché avec un appareil pédagogique adéquat ; œuvre qui motive les élèves et qui a déjà marché les années précédentes…
- – individuelles : principe économique d’ouvrages déjà travaillés et expliqués ; opportunité dedécouvrir ou d’approfondir une œuvre ou un auteur nouveaux ; doctrine avec laquelle on a des affinités et que l’on veut faire partager aux élèves…
- – corporatives : classique faisant consensus au sein du corps, dont on sait que beaucoup l’expliquent, à coup sûr connu par les examinateurs, ne défavorisant pas les élèves …
Dans lamesure ou dans certaines séries plusieurs œuvres doivent être étudiées, il serait intéressant aussi de comprendre leur choix différencié et leur principe de succession (période dans l’histoire de la philosophie, type de doctrine, relation à un problème, une notion, au cours etc.). Ces entretiens pourraient discerner comment ces différents éléments se combinent chez unindividu dans son rapport à la philosophie, au métier, au corps des collègues, à la pédagogie et à la didactique, comment jouent recherche et confort, innovation et conformisme, pour savoir au fond ce qui oriente le décisions …Qui est intéressé pour mener de telles recherches ? Par Michel Tozzi, professeur d’université à Montpellier 3