Débat démocratique et discussion philosophique
Les échanges sur la liste pratiques-philosophiques.net de fin 2002 tournent autour des rapports entre débat démocratique et discussion philosophique en classe et dans la cité, dans une logique argumentative de thèses souvent contradictoires.
Ils prennent sens à partir de certaines distinctions conceptuelles et d’un questionnement spécifique, dont j’essaye de rendre compte ci-dessous, et qu’il s’agit de compléter…
pour élaborer une problèmatique sur ces pratiques.
- Qu’est ce qu’un dialogue ? une discussion ? Quelles différences avec une simple conversation ?
- Qu’est-ce qu’un débat démocratique ? A quelles conditions, par exemple de liberté, d’égalité, de convivialité, de parole, de pouvoir etc. un échange verbal dans un groupe peut être démocratique ? Ce qui implique dedéfinir la démocratie.
- Qu’est ce qu’une discussion « philosophique » (je préfère dire avec J.C. Pettier « à visée philosophique ») ? Ce qui implique de définir le philosopher.
- Une discussion philosophique doit-elle être démocratique ? Peut-elle être philosophique sans être démocratique ?
- Une discussion démocratiqueest-elle de facto philosophique ? Ou bien à quelles conditions (de pensée) peut-elle le devenir ?
Ces questions peuvent éventuellement s’éclairer par le rapport, historique (Grèce, 18 ième , aujourd’hui) et/ou structurel entre philosophie et démocratie.
- Un débat démocratique ou une discussion philosophique peuvent-ils se produire dans un groupe sans un certain nombre de fonctions (ex :répartition de la parole), incarnées par des rôles (ex : président de séance), et sans un certain nombre de règles (ex : ne pas couper celui qui parle) ?
- Ces fonctions peuvent-elles être exercées, et ces règles respectées, sans des rôles ? Si oui, à quelles conditions ? Si non, pourquoi ?
- Quels sont les rôles qui semblent utiles pour un débatdémocratique (ex : président de séance, introducteur des points de l’ordre du jour, secrétaire de séance, rapporteur etc.) ? pour une discussion philosophique (ex : introducteur du sujet, reformulateur, synthétiseur etc.) ?
- La fonction de reformulateur est-elle nécessaire pour s’entraîner à écouter et comprendre, clarifier si nécessaire pour le groupe, construire du sens etc., ourecouvre-t-elle inutilement ce qui vient d’être déjà dit, et casse-t-elle la spontanéité des échanges ?
- Peut-on poser de la même façon ces problèmes dans la classe, où l’objectif de formation est explicitement visé, et dans le café-philo, qui n’est pas une institution de formation, et où la présence d’adultes est volontaire ?
- Dans la classe, l’asymétrie desstatuts, des compétences et des connaissances peut-elle permettre une parité entre élèves et maître, au point de vue tant démocratique que philosophique ? Si non pourquoi ? Si oui, à quelles conditions ?
- Quel est l’importance de dispositifs dans les tentatives de ceux qui croient possible cette parité? Sont-ils même nécessaires ?
- Quel doit-être le rôle du maîtredans une discussion à visée philosophique ?
(Voir sur ce point la recherche actuelle). Doit-il s’effacer jusqu’à disparaître (Chazerans-Lévine)? Concevoir et mettre en place un dispositif démocratique avec des rôles différenciés (Connac-Delsol)? Prévoir des supports appropriés (textes de départ de Lipman) ? Ne pas intervenir du tout sur le fond ? Ou du moins pas audébut ? Veiller discrètement à la mise en oeuvre dans la discussion de processus de pensée (Tozzi)? Garder un rôle déterminant dans la conduite du groupe pour assurer la philosophicité des échanges (Lalanne)? etc.
Il y a sur la liste des réponses divergentes à ces questions. Elles ne doivent pas faire oublier tous les présupposés communs, que d’autre thèses, présentes dans ledébat français, mais malheureusement absentes sur cette liste de « favorables à faire philosopher des enfants », condamneraient sans appel. Ce sont, car elles donneraient une toute autre allure à nos débats, ces thèses qu’il faut aussi réfuter, en sortant de notre sérail, du type :
• Les enfants ne sont pas capables de philosopher (Platon,Descartes). Il ne faut commencer la philo qu’enterminale, quand les élèves ont suffisamment de maturité et de connaissances.
• On ne peut apprendre à philosopher qu’en apprenant la philosophie (Hegel) ; qu’à partir des grands auteurs et des grands textes, exemples et modèles de pensée.
• On ne peut apprendre à philosopher qu’en écrivant des dissertations, « patrimoine incontournable de l’enseignementphilosophique » (Programme Renaut).
• Un philosophe fuit les discussions (Deleuze), où l’on ne traite jamais de la même chose : philosopher, c’est « créer du concept ». Les discussions, à fortiori entre pairs, sont de nature doxologique, et en aucun cas philosophique. C’est le « café du commerce ». On ne peut apprendre à philosopher en discutant à plusieurs dansun groupe.
• Une discussion peut être philosophique sans être démocratique. Pour être philosophique, une discussion ne peut être démocratique.
• Toute didactisation de la philosophie est une trahison de la philosophie, car « la philosophie est à elle-même sa propre didactique » (Muglioni).
• On ne peut enseigner la philosophie à des élèvesqu’avec une solide formation philosophique.
• La démocratie n’est pas le régime politique idéal (Platon, Hobbes etc.).
Il faut que nous sachions, au-delà de nos débats internes, qui portent sur des principes moins fondamentaux, répondre avec pertinence à ces thèses, car elles sont solidement défendues par des philosophes et des professeurs de philosophie?