Philotozzi L'apprentissage du Philosopher

L’intérêt de la reformulation dans un débat

Dans la forme orale que constitue le débat en classe, le choix d’organisation de l’animation est ouvert : l’animateur peut être le professeur, ou un élève. Il peut y avoir co animation : par exemple un élève est président de séance, chargé de gérer la circulation de la parole sous une forme démocratique, et le professeur s’occupe du fond. Dans tous les cas se pose la question de la reprise de… ce qui se dit en vue d’engranger les acquis de la discussion (reformulations immédiates, synthèses partielles ou finales à chaud, ou à froid par écrit …).

UN GESTE UTILE
La reformulation de l’animateur nous semble pour notre part nécessaire, dès qu’il s’agit d’une discussion-échange. Elle peut en effet remplir plusieurs fonctions utiles :
– Par rapport à l’individu qui parle, elle est lesigne qu’il a été écouté, et personnellement compris ; que son intervention est jugée comme contribution à une réflexion commune, puisqu’elle est renvoyée au groupe (fonction narcissique de reconnaissance singulière et collective).
– Pour le groupe, elle peut avoir une fonction technique (redire plus fort ce qui n’a pas été entendu). Elle peut aussi être cognitivement clarifiante(elle résume ce qui vient d’être dit plus longuement et parfois de façon embrouillée). Elle peut faire des liens entre les différentes interventions, et entre chaque intervention et le sujet, construisant ainsi du sens, et une progression collective. Ceci est d’autant plus nécessaire si un ordre d’inscription oblige à différer sa réponse à un autre intervenant, introduisant des discordances dans le suividu débat. Elle ralentit aussi le rythme des échanges, qui souvent est trop rapide pour certains participants : il y a là des pauses, des respirations, qui favorisent l’assimilation et donnent à chacun du temps pour construire sa propre pensée.
– Pour l’animateur, elle permet de vérifier, par les rectifications éventuelles des intervenants, s’il a bien compris ce qu’ils ont dit, et de s’appuyer sur chaque apport desparticipants pour acter les acquis vis à vis du groupe, et élaborer un cheminement commun.
La reformulation se distingue d’une synthèse partielle, et a fortiori finale, en ce qu’elle s’intéresse à deux ou trois interventions maximum qui se succèdent, pour en extraire les apports nouveaux, alors que la synthèse est à moyen ou long terme, reprenant un nombre significatif d’interventions pour en dégager lespoints saillants.

LES DIFFICULTES
Reformuler est difficile, car cela implique
– de prendre du recul par rapport à sa propre affectivité pour ne pas réagir soi-même trop vivement à l’émotion des élèves, et parasiter sa compréhension par l’affect. Il faut rester dans le registre cognitif.
– de ne pas être encombré par sa propre pensée, qui a tendance à filtrer etinterpréter ce qui se dit en fonction de la plus ou moins grande proximité de ce qui est émis avec sa propre opinion. Combien de fois écarte-t-on, ou n’entend-on pas, tout ce qui ne va pas dans le sens vers où l’on voudrait mener le groupe ? Le cours dialogué n’est-il pas un tri de ce qui est utile à l’enseignant pour poursuivre son cours ?
Ecouter vraiment implique une ouverture réelle àl’altérité, à la surprise et à l’écart, un entraînement à la compréhension cognitive d’autrui, surtout quand la pensée est maladroite.
Il s’agit de faire plus court, car une reformulation plus longue que la formulation pose problème : les enseignants " partent " vite, et ont tendance à en rajouter. Mais comment ne pas faire plus long quand l’expression est courte etembrouillée, et qu’il faut l’expliciter ?
Il ne faut pas simplement répéter ce qui a été dit (sauf problème d’acoustique) mais choisir, tout en étant fidèle, pour que l’autre se reconnaisse, ce qui est significatif par rapport au débat en cours, pour construire une progression : surgissement d’un élément nouveau, définition d’une notion, émergence d’une distinction conceptuelle,réélaboration ou déplacement de la problématique, apparition de thèses, production rationnelle d’arguments, changement de domaine ou de registre, caractère interpellant d’un exemple, émission d’une nouvelle proposition dans un débat à décisions etc.
La reformulation qui donne du sens situe le propos autour d’une problématique, met en relation (les intervenants entre eux, l’intervention au sujet).Elle mobilise discrètement en background une culture qui met en perspective, et élève d’un cran la conceptualisation des propos tenus. D’où cette impression du participant qu’il est intelligent, et du groupe que sa discussion est consistante. Cela ne va pas sans une mémoire à moyen terme qui garde trace des interventions précédentes pour faire lien, recadre par rapport à la question traitée, etéclaire par les enjeux sous-jacents.
Apprendre à reformuler s’apprend. C’est un exercice très formateur pour des élèves : connaissance du sujet traité, comportements finalisés par des valeurs (ouverture, accueil, écoute, respect, intérêt pour autrui), compétences cognitives (compréhension des discours et des idées, repérages notionnels, problématisants etargumentatifs, capacité de résumer, de relier). Il y a là à la fois des dimensions cognitives, affectives et relationnelles, qui aident à se construire comme sujet de l’échange.

Michel Tozzi, Maître de Conférences
en Sciences de l’Education à Montpellier 3

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