Introduction
" La métaphysique consiste à répondre aux questions des enfants " (GROETHUYSEN)
Des expériences de discussion " philosophique " à l’école primaire se développent actuellement en France, avec des formations d’accompagnement dans certains IUFM du public (par exemple Caen, Clermont-Ferrand, Montpellier, Bonneuil, Melun) ou du privé (exemple Montpellier). Alors que la " … philosophie pour enfants " vient de tenir à Brasilia, en juillet 99, autour du philosophe américain M. LIPMAN, un congrès sur les " Trente ans de pratiques et de recherches dans le monde ", il s’agit en France d’une innovation, en rupture avec la tradition : la philosophie n’est enseignée qu’en classe terminale ; l’institution philosophique a refusé en 1989 la proposition du rapport Derrida-Bouveresse (demandé par L. Jospin, alors Ministre de l’Education nationale) : commencer à l’enseigner en première. Alors la maternelle !
Pourquoi aujourd’hui cette émergence, et un accueil plutôt favorable de certains professeurs d’école, conseillers pédagogiques, inspecteurs ? A cause de la convergence nous semble-t-il d’au moins trois éléments :
- la maîtrise de la langue orale apparaît comme l’un des objectifs essentiels de l’école primaire aujourd’hui. D’où le développement d’une didactique de l’oral (cf. par exemple les travaux de Schneuwly et Dolz). Le débat est l’un des genres fondamentaux de l’oral. Il développe notamment des capacités argumentatives. L’argumentation, que l’on réservait jadis au lycée, puis au collège, doit désormais être enseignée à l’école primaire.Les recherches montrent que le langage, par son interactivité, a une orientation argumentative (cf. les travaux de F. François), et que les conduites argumentatives, liées aux situations de communication, apparaissent plus tôt que ne le laissaient supposer les stades piagétiens. L’argumentation est devenue l’un des champs essentiels de la didactique du français (cf. B. Veck à l’INRP ou A. Boissinot notamment) ;
- l’éducation civique à l’école primaire, dans sa double dimension de civilité sociale et de citoyenneté politique, insiste dorénavant sur l’apprentissage du débat argumenté (voir par exemple la circulaire de juillet 1999), mettant en évidence le lien entre démocratie et pratique du débat ;
- l’école est par ailleurs confrontée à une double crise du sens du rapport au savoir et du rapport à la loi. La discussion philosophique, par son rapport non-dogmatique au savoir ( à base d’interrogation ), par les enjeux existentiels motivants des questions abordées (ex : qu’est ce que grandir ?), par le respect des règles qu’elle préconise et développe (éthique communicationnelle de l’écoute, du chercher ensemble à se comprendre et à comprendre), estune pratique de terrain qui (re)donne sens à l’activité scolaire. Elle étaye une image de soi positive par l’expérimentation de sa dignité d’être pensant, et favorise la coopération socio-cognitive. On constate avec sa pratique des retombées sur le climat de la classe et le rapport aux autres disciplines…
C’est cette convergence entre des disciplines enseignées en évolution (le débat argumentatif comme genre de l’oral en français dans la perspective citoyenne d’une discussion démocratique), et la nécessité de construire du sens à l’école par une pensée réflexive à dimension anthropologique, qui favorise selon nous l’accueil de cette innovation. Nous l’ encourageons et tentons de la formaliser par la recherche, en tant d’une part que membre de l’équipe du CERFEE(Montpellier 3)sur la socialisation démocratique1
, et d’autre part didacticien de la philosophie2
.
Après un article présentant les tenants et aboutissants de pratiques, recherches et formationsactuelles, on trouvera dans cet ouvrage :
- Des témoignages réflexifs de praticiens, très diversifiés : par le niveau concerné et l’âge des enfants (de la maternelle au CM2, mais aussi en SEGPA) ; par le type de classe ou d’école (public/privé, rural/urbain, classe unique/à un/plusieurs niveaux, ZEP/centre ville…). Chaque article met particulièrement l’accent sur un point,identifié en italique sous son titre (ex : appui sur la méthode du philosophe M. Lipman, importance du dispositif, accent sur les processus de pensée, articulation oral-écrit , élèves en difficulté, protocole d’orientation psychanalytique de J. Lévine, suivi d’une cohorte d’élèves, extension à toute une école, co-animation avec un philosophe etc.)
- Des exemplesdifférents de stages proposés par certains IUFM ou circonscriptions, en formation initiale ou continue.
- Des réactions, prises de position sur cette innovation de partenaires divers, de l’inspecteur de l’éducation nationale au professeur d’école.
Nous espérons ainsi, par la variété des expériences rapportées, proposer non un modèle à imiter, ce qui n’aurait paspédagogiquement de sens, mais des exemples à méditer, qui donneront peut-être à des collègues des idées, pour se lancer eux-mêmes dans l’aventure de l’éveil de la pensée réflexive chez l’enfant, en communauté scolaire de recherche3
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Par MichelTOZZI
Maître de conférences à l’université P. Valéry (Montpellier 3)
Notes
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1 – Lasocialisation démocratique à l’école : un concept pour une pratique ? in Vers une socialisation démocratique (SLD de J.B. Paturet), Théétète, St-Maximin, 1998.
Définir un mode scolaire de socialisation démocratique, in CERFEE (Montpellier 3), n°15, 1998.
cf. aussi la coordination de Apprentissage et socialisation, Cahiers Pédagogiques n°367-368, oct.-nov. 1998. Et du même titre, avecJ.Y. Rochex, CRDP de Montpellier, 2000.
2 – Thèse : Vers une didactique de l’apprentissage du philosopher, Lyon II, 1992. Habilitation à diriger des recherches : Eléments pour une didactique de l’apprentissage du philosopher, Lyon II, 1998.
email : michetozzi@aol.com