Philotozzi L'apprentissage du Philosopher

Contribution à une didactique de l’oral réflexif

Je vois dans vos recherches un quadruple intérêt :
1) La spécificité de recherches menées dans le cadre d’organismes de formation, comme les I.U.F.M.
Intérêt d’équipes de recherches associant instituteurs, IMF, enseignants d’IUFM, enseignants-chercheurs. De compte-rendus collectifs de recherches à plusieurs voix, complétant les fonctions et points de vue. Volonté de mêler… les didactiques " praticienne " et " critique-prospective " (J.L. Martinand), l’approche praxéologique à une approche plus descriptive-explicative. Intérêt aussi d’entraîner les praticiens ou formateurs-doctorants à des communications scientifiques dans des colloques.
Dans un tel processus de recherche-action, il importe de redoubler de vigilance épistémologique, afin de ne pas confondrerecherche et simple analyse de pratiques professionnelles.

2) Souci des autres disciplines et didactiques disciplinaires.
Cette ouverture de la DFLM m’a paru probablement liée au terrain du premier degré, à la formation à la polyvalence de l’instituteur, au fait que le français est discipline de service pour les autres disciplines en même temps que discipline propre. Cette exploration interdidactique est prometteuse, carutiliser le français en mathématiques est autant du domaine de la didactique des maths que celle du français.
Je me prends à rêver que la didactique de la philosophie ait une telle ouverture …

3) Intérêt de vos cinq hypothèses de départ.
Car il est vrai que le langage a un caractère opératoire pour comprendre le monde, et qu’il est à la fois outil et support pour la conceptualisation. Je m’interroge cependant pour savoir si c’est l’oral et l’écrit qui sont par eux-mêmes réflexifs, dans la mesure où la verbalisation est un début de formalisation, ou si ce n’est pas la pensée qui, dans et par le langage, est réflexive.
Je ne confondrais pas pour ma part pratique langagière réflexive et pratique réflexive. Car il ne suffit pas de parler pour savoir ce que l’on ditni de dire ce qu’on pense pour penser ce que l’on dit. Ce n’est pas parce que ça parle ou ça pense que je pense. Les " discours socialement disponibles ", fondamentaux en français, ne sont souvent philosophiquement que des préjugés. Le rapport de la pensée au langage ne s’épuise pas dans le rapport d’expression et de communication à la langue et à la parole, car il y va du rapport au réel età la vérité. La pratique réflexive n’est pas seulement langagière, car elle suppose que l’on se demande " ce dont on parle (en allant du mot au concept) et si ce que l’on dit est vrai (argumentation universelle, et pas seulement socialement partageable, liée à des groupes ou cibles particuliers) ".
En ce qui concerne le processus de subjectivation, qui me semble central -et nouveau- dans des recherches qui dece fait ne sont pas seulement linguistiques, vous semblez vous en tenir au sujet scolaire. Par la notion, plus globale d’ " expérience scolaire ", vous dépassez certes le seul sujet épistémique de Piaget (en réintégrant l’affectif et le social), mais quid de l’élève comme " personne ", et jusqu’où prendre en compte, ou se déprendre, de la sphère de l’intimité ?
Si l’éducation vise la libre émergence d’un sujet, c’est-à-dire l’émergence d’une liberté, il y a là une limite de la didactique, qui ne peut " instrumenter " cette liberté. On ne peut " didactiser le sujet " : c’est pourquoi je suppose que vous parlez du " sujet apprenant ". Il y a donc une dérive possible de la didactique : le technicisme, dont il faut se garder (L’autre dériveétant le conservatisme socio-politique, lorsqu’on cherche seulement à adapter le sujet au système tel qu’il est, sans le critiquer).

4) Vos recherches interrogent la didactique de la philosophie.
Votre problématique est proche de la mienne, car vous travaillez les interactions sociales verbales (orales ou écrites), et je travaille la discussion philosophique et les formes diversifiées d’écriture philosophique. Ils’agit de construire chez chaque élève un sujet philosophique, qui pense par lui-même. Or l’on ne pense que dans et par le langage, en langue naturelle. Et la pensée est fondamentalement dialogique.
Qu’en est-il de l’énonciation philosophique ? C’est une question qui peut vous intéresser. Quel est ce je du scripteur ou du locuteur philosophique ? Et qu’est ce que son " auditoire universel " (Perelman) ? Habité existentiellement, singulier mais non contingent, pensée personnelle mais pas forcément originale, dépassant l’opinion, et se constituant dans et par le dialogisme, mais pas du socialement partageable, puisqu’on vise l’universalisation, et le " meilleur argument " (Habermas). Soucieux d’une " éthique communicationnelle ", qui dépasse donc la psycho ou la sociolinguistique. Métapragmatique ? Le rapport d’un sujet parlant et pensant dans et par le langage en interaction communicationnelle dans une " communauté de recherche " (Lipman), tel semble être un terrain commun pour des recherches de nos didactiques ! C’est un appel à collaboration !

INTERVENTION DE MICHEL TOZZI
Maître de Conférences à l’Université Paul Valéry, Montpellier III,
didacticien de la philosophie.

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